(Note de lecture) Marianne Van Hirtum, Une vie fulgurante, par Jean-Claude Leroy

Par Florence Trocmé

" J'ai connu toutes les roueries
j'ai gravi l'échelle de tout mon désir
avec un petit manteau d'écolier
posé sur les épaules... "
(p. 70)
On connaît du mouvement surréaliste principalement quelques " historiques " empilés dans les manuels scolaires, cependant bien d'autres personnages s'émancipèrent dans l'ombre d'André Breton ou des Manifestes, de Benjamin Péret ou de Max Ernst, de Paul Nougé ou de René Magritte. Parmi les figures féminines, on cite volontiers Joyce Mansour, Dorothée Tanning, Toyen, Unica Zürn, Claude Cahun, Annie Le Brun, le nom de Marianne Van Hirtum apparaît plus rarement. Et pourtant !
Fille d'un psychiatre fantasque, médecin-chef d'un sanatorium (à Saint Servais, en Belgique) (1) et d'une mère bigote, elle grandit plutôt librement hors des circuits de dressage habituels. Très jeune, elle dessine, écrit, crée des marionnettes. Dans un article du journal trotskiste Rouge consacré à La nuit mathématique, Jean-Louis Bédouin résume cet affranchissement : " D'enfant intérimaire, fruit travesti de fantasmes maternels, Marianne Van Hirtum n'a dû qu'à son désir de vivre, heureusement servie par une innocence de jeune sorcière et protégée par un humour infrarouge, de franchir le désert affectif qui la séparait d'elle-même... " (2)
Quand elle s'éloigne de sa région de Namur pour rejoindre Paris, elle voit assez vite ses poèmes publiés par Pierre Seghers, puis par Jean Paulhan. Mais c'est la rencontre d'André Breton qui sera décisive. " Le surréalisme ne m'a jamais été étranger, j'ai toujours su ce qu'il était - la vie même. ", écrira-t-elle dans un texte intitulé Le surréalisme est une grande peau d'ours. Elle participe aux réunions du groupe, aux expositions, notamment L'Exposition internationale du Surréalisme à la galerie Cordier en 1959-1960, ou encore à la Galerie Adrienne Monnier. (3)
Refusant d'exercer un métier, elle dessine sans cesse, ou encore sculpte des statuettes magiques. " Toutes les opérations de ma vie, dont celle-là - je veux dire cette formidable rencontre [celle d'André Breton] - se sont faites comme par magie, c'est-à-dire véritablement par magie. Car la magie est l'instance supérieure à laquelle j'ai confié ma vie. " (in Le surréalisme est une grande peau d'ours.). Elle écrit des contes et des poèmes d'une grande vitalité, d'une incarnation radicalement décontractée, et souvent jubilatoire. C'est une œuvre de nature et d'imagination, le libre cours est ici la règle non dite, on sent l'improvisation, la spontanéité, mais aussi la précision redevable à l'expérience intérieure. Rage, espace, nature sont comme le sel de cette écriture. Reflet d'une existence sans attaches autres que quelques passions essentielles.
Nous aurons la vengeance des doigts
plus intelligents que nous-mêmes
ornés des belles griffes des délices urbaines.
Notre superbe cri de bête assidue
à la poursuite
de forêt en forêt de blasphèmes
- jusqu'à à ce que mort s'ensuive.
[...]

(p. 33)
Marianne Van Hirtum vit enfin vers Montparnasse entourée de chats et de reptiles. À partir des années 1970, les éditions Rougerie s'intéressent à ses écrits et publient plusieurs recueils, l'anthologie qui paraît cette année aux éditions L'arbre de Diane emprunte à ces ouvrages. Disparue en 1988, l'auteure du Papillon mental (1983), qui n'avait quêté ni la gloire ni l'importance, ayant juste été infiniment libre et indépendante, était tombée dans l'oubli, voici que quelques événements (en Belgique et en Suisse) nous rappellent qu'elle a passé sur terre, et qu'elle y a vécu.
Jean-Claude Leroy

1) Cf. Wikipédia
2) Cf. Rouge, 8 septembre 1976.
3) Cf. Le dictionnaire général du surréalisme et de ses environs, dir. Adam Biro et René Passeron, Presse universitaire de France, 1982.
Marianne Van Hirtum, Une vie fulgurante, L'arbre de Diane, 92 p., 2020. 12 €.