Ce n’est qu’après l’avoir refermé que j’ai entrepris des recherches, et je comprends tout à fait comment l’auteure peut avoir un tel talent. Elle est créatrice de bijoux et elle a sans nul doute appliqué un soin comparable à l’écriture de ce premier roman dont je n’ose donner la trame de peur de flétrir le plaisir de la découverte que vous en ferez, mais j’ai sélectionné quelques brefs extraits.
Il est pour vous si vous aimez l’écriture de l’intime, si vos yeux prennent l’eau à l’évocation du film Sur la route de Madison, si vous croyez au poids de la transmission transgénérationnelle, si vous pensez que l’enfance est déterminante, si vous aimez lire, tout simplement, en vous laissant emporter par un récit dont on n’a cure qu’il soit ou pas autobiographique car il est magnifique comme les vitraux d’une cathédrale, et c’est là l’essentiel.
Je vous donnerai malgré tout quelques extraits représentatifs de la plume de Delphine. A propos du saccage de son enfance, Mona nous confiera : j'ai construis des trous d'air, des tunnels comme des artères, j'ai fermé les oeilletons à la pensée des tropiques, réglé les vasistas, posé des frontières, tracé des lisières. (…) J'écrirai bientôt à bout portant, l'intact sanctuaire.
Elle vit quelques heures de bonheur simple mais intense chez ses grands-parents auprès desquels elle oublie qu'elle voudrait disparaitre (p. 70). De retour à la maison elle se pelotonne sous un foulard rouge, mais la magie ne fonctionne pas. Sa mère ne lui est d'aucun secours. Elle se dissout comme un sucre au fond d'une tasse à café et laisse son enfant dans la tornade (p. 74).
Son mari Paul est extrêmement prévenant mais son âme a elle aussi connu des fractures : Il avait rangé ses crayons et son rêve sans se plaindre, comme on éteint la flamme d'une bougie, comme on ruine son existence (p. 36).
Les sentiments que Mona aura pour Vincent sont peu ordinaires : j'ai cru que je l'aimais pour oublier., mais je l'aimais pour me souvenir (p. 78). Elle va se mettre à écrire. J'écrivais les mots d'étoffe, je décousais l'ourlet en suivant la marge.
C'est beau, pudique, élégant. Tout le reste était enfermé dans une boule à neiges remplie de paillettes, qu'un jour il faudra retourner avec des mots pour les voir voleter, quand la force reviendra. Quelque chose se refermait sur nous, le beau qu'on a rêvé, le bleu qu'on n'a pas peint, minuit jamais atteint (p. 249).
Je vous donne malgré tout le texte qui se trouve en quatrième de couverture :
J’ai cru que l’événement de ces dernières semaines, c’était ma rencontre avec Vincent, mais sur ce chemin qui me menait à lui, j’ai retrouvé la mémoire. Et en ouvrant la trappe où j’avais jeté mes souvenirs, la petite est revenue, elle attendait, l’oreille collée à la porte de mon existence.Cette histoire nous entraîne sur les traces d’une femme, Mona, qu’une passion amoureuse renvoie à un passé occulté. Un passé fait de violence, à l’ombre d’une mère à la dérive et d’un père tyrannique, qui l’initiait au vol à l’étalage comme au mensonge.Le silence, l’oubli et l’urgence d’en sortir hantent ce roman à la langue ciselée comme un joyau, qui charrie la mémoire familiale sur trois générations. De la Tunisie des années 1960 au Paris d’aujourd’hui, Une nuit après nous évoque la perte et l’irrémédiable, mais aussi la puissance du désir et de l’écriture.Je n’aurais qu’une critique à faire, à propos de la photo qui figure sur le bandeau. Bien qu’inscrite dans les années 60, qui est une période charnière du livre, elle ne m’évoque aucune scène ni aucun moment de l’histoire si forte que nous offre l’auteure. Pire, elle ne n’aurait pas incitée à spontanément tendre la main vers ce roman qui est un grand coup de coeur.
Quant au titre, il faut patienter jusqu'à la fin pour le savourer.
Une nuit après nous de Delphine Arbo Pariente, Collection Blanche, Gallimard, en librairie depuis le 26 août 2021