(Anthologie permanente), Pier Paolo Pasolini, Je suis vivant

Par Florence Trocmé


Les éditions Nous publient Je suis vivant de Pier Paolo Pasolini (1922 – 1975). Cette nouvelle édition augmentée de Je suis vivant propose des poèmes de jeunesse de Pasolini, écrits entre 1945 et 1947. Traduction d’Olivier Apert qui signe aussi une « petite préface pasolinienne » et postface de Leonardo Sciascia.
Extraits

Dans mes yeux, et mes cheveux
en bataille sur le front, toi petite lumière,
insouciante tu rougis mon papier.
Adolescent je me consumais des nuits entières
en compagnie de ta faible lueur, et c'était étrange
d'entendre le vent, les grillons solitaires.
Alors, dans les chambres, la famille
privée de mémoire dormait, et mon frère
restait étendu de l'autre côté de la cloison.
À présent où qu'il soit, toi rouge lumière
sans rien dire, tu illumines, et le grillon
soupire dans les campagnes inanimées;
et ma mère se coiffe au miroir,
ancienne coutume comme ton éclat,
en pensant à son fils sans vie.
Vicina agli occhi e ai capelli sciolti
sopra la fronte, tu piccola luce,
distratta arrossi le mie carte.
Adolescente ardevo fino a notte
col tuo smunto chiarore, ed era strano
udire il vento e gl'isolati grilli.
Allora, nelle stanze smemorati
dormivano i parenti, e mio fratello
oltre un sottile muro era disteso.
Ora dove egli sia tu, rossa luce,
non dici, eppure illumini; e sospira
per le campagne inanimate il grillo;
e mia madre si pettina allo specchio,
usanza antica come la tua luce,
pensando a quel suo figlio senza vita
(18-19)
Irrésolu j'écoute en me levant
le son clair de mes pas; puis j'hésite
devant les sinistres volets clos.
(Dans quelle merveilleuse atmosphère se glisse
la lumière immaculée ? Et avec tant de tristesse ?).
Incertain j'ouvre le balcon : le ciel imprime
un silence sidéral sur les champs.
Et... si nos sens avaient raison, puis au loin
un chaste autocar déflore à peine
le silence, du côté des contreforts désolés.
Et le vrombissement enchanteur se dissipe.
Et moi je suis toujours là, penché sur mes feuilles ?
Ah images désespérantes, ah certitude
de n'être rien d'autre qu'une apparition
à la lumière...
Sospeso allora ascolto dei miei passi
il fresco suono, alzandomi; ma indugio
alle squallide imposte suggellate.
(In quell'aria meravigliosa il vergine
lume trapela? e con tale tristezza?).
Apro incerto il balcone: il cielo imprime
un silenzio sidereo sopra i campi.
Poi... se i sensi non errano, è un remoto
casto autocarro che disfiora appena,
ai desolati margini, il silenzio.
E il rombo incantevole dilegua.
Ed io mi trovo ancora chino sui miei fogli?
Ah disperante immagine, ah certezza
di non essere altro che un apparso
alla luce...
(32-33)
Comme un naufragé indemne je me retourne
et je vois derrière moi, attendris
par le passé, des océans de rares
violettes, de primevères silencieuses.
Mais ce paysage de jeunes pousses azurées
que le clair Avril adoucissait
est déjà un songe plus lointain que le ciel.
Le temps se dissipe sans vague :
papillons aux vols pudiques,
fleurs violentes, paix hérissée...
Et saurais-je encore m'effrayer si
un son désaccordait la musique ténue
des champs? Lever les yeux comme un enfant
angoissé par les gouffres célestes
que voile le cours paisible des nuages?
Et si dans l'azur aride
l'irascible rossignol exhalait son chant diurne
je l'écouterais avec ferveur, mais sans espoir.
Je ne rêve pas, je ne veille pas...
Come un naufrago incolume mi volgo
e vedo, inteneriti dal passato,
alle mia spale, oceani di rare
viole, di silenziose primule.
È già un sogno lontano più del cielo
il paesaggio di germogli azzurri
che il i tasparente Aprile intiepidiva.
Il tempo è dileguato senza moto:
le farfalle che volano pudiche,
i fiori violenti, l'irta quiete...
E so ancora atterrirmi ad un accento
che disaccordi con la fioca musica
dei campi? Alzare il capo, puerilmente,
angosciato dai baratri celesti
tra i veli tranquilli delle nuvole?
Se l'iroso usignolo nel’azzurro
arido, esala i suoi canti diurni,
lo ascolto ardente, ma non ho speranza.
Io non sogno, non veglio...
(40-41)
Pier Paolo Pasolini, Je suis vivant, traduit de l'italien par Olivier Apert et Ivan Messac, postface de Leonardo Sciascia, édition bilingue, Editions Nous, 2022, 104 p., 10€