Giuseppe Conte est un poète, un romancier et un essayiste né à Imperia (Porto Maurizio), en Ligurie, dans cette région qui a tant donné à la poésie italienne contemporaine, songeons entre tous à Eugenio Montale, par exemple. Car, jusqu’à il y a peu, ces catégories régionalistes n’étaient pas totalement déplacées dans un pays qui a été, et demeure encore quelque peu, une mosaïque régionaliste, bien souvent également sur un plan culturel. La Ligurie est ainsi réputée pour avoir donné une poésie rocailleuse, parfois sèche et, quoi qu’il en soit, économe de ses mots et de ses effets.
Comme Giorgio Caproni, d’origine toscane, notre poète est un ligure d’adoption d’origine sicilienne par son père, ligurienne par sa mère.
Davantage bon connaisseur de la culture anglo-saxonne, il rompt avec la tradition poétique du lieu et son parti pris de concision, de lyrisme contenu, sinon contrecarré, pour ouvrir ses compositions à la poésie américaine et anglaise. Il a subi, comment ne pas le relever, surtout l’influence de Walt Whitman quand sa conception du monde évolue dans les parages de celle du romancier anglais D.H. Lawrence.
Tendue vers une santé émotionnelle, une vitalité ardemment quêtée, son œuvre poétique constitue donc une césure exaltant, comme ses admirations, la spontanéité du sentiment et de l’instinct.
À ce titre, après des débuts vaguement inscrits dans la mouvance du Groupe 63, qualifié en Italie de « néo-avant-garde » (neoavanguardia), il vise bientôt à une redécouverte du mythe et de la nature. À un point tel qu’il en viendra à pacifiquement « occuper », avec quelques autres poètes, la basilique florentine de Santa Croce, sorte de Panthéon italien, pour prononcer sur son parvis un discours revendiquant le primat éthique et spirituel de la poésie. Cette « action » fut notamment saluée par la fille d’Ezra Pound et le poète Mario Luzi et, plus étrangement, par Lawrence Ferlinghetti.
Dans les années 1995-1996, avec quelques autres poètes, il crée le mouvement du « Mythomodernisme (Mitomodernismo) » outrepassant largement le champ poétique. Une autre façon de vivre est alors postulée selon une partition poétique explicite.
Je t’écris de Bordeaux, titre français dont l’auteur s’explique dans sa préface, se superpose au titre italien qui en devient le beau sous-titre français : Blessures et refleurissements. L’élégant volume est bilingue, et accompagné d’une postface, de notes, d’une biographie et d’une bibliographie aussi circonstanciées que bienvenues d’un traducteur vigilant.
Nombre des poèmes inclus dans le recueil ont été écrits lors d’un séjour à Bordeaux, terre du poète gallo-romain catholique, évidemment d’expression latine de l’antiquité tardive, Ausone (309-310/394-395).
Rarement "titre-sous-titre" mieux choisi. Ne décrit-il pas au plus près le contenu du recueil ? Car ce sont bien des « blessures » infligées par la temporalité dont on nous entretient avec une forme de gravitas latine paradoxalement, çà et là, enjouée. Des « blessures » qui renvoient néanmoins à des « refleurissements » sous forme d’hymne chantonné entre les dents par un poète vieillissant demeurant malgré tout sensible à la beauté du monde.
L’oxymore pose à merveille la tension à l’œuvre dans l’esprit du poète pour faire du champ ainsi déployé deux allégories omnicompréhensives d’un vécu. L’allégorie, la figure de prédilection de Conte. De tout vécu peut-être, pour glisser imperceptiblement dans un champ moral, la méditation :
Comme est court Février
comme est courte la vie
pour qui en aime l’essence
incessante, infinie
p. 37
L’homme « vendange » ses « rêves » et autres « malheurs ».
Le souvenir de la poésie médiévale, religieuse y compris, affleure pour se greffer à une tradition existentialiste moderne :
Comme tous ceux qu’a blessés
la douleur la plus forte,
celle qui serre à la gorge
et qui te suffoque sans raison,
la dure, labyrinthique
douleur d’exister,
la terreur de chaque pas,
comme si il y avait
un gouffre à t’attendre
et l’impression que tout sera fini
d’un coup comme par une balle
de fusil.
p. 35
De sorte que certaine sensibilité peu ou prou whitmanienne finit par rencontrer en filigrane, de façon inattendue, une proportion de louanges dignes de Jacopone da Todi (1230-1306). Celle-ci, par exemple : « Ô jubilation d’amour qui fait chanter d‘amour ! »
Philippe Di Meo
Giuseppe Conte, Je t’écris de Bordeaux, Blessures et refleurissements, Traduit de l’italien et présenté par Christian Travaux, Arfuyen, 235 p. ; 18,50€