Ce week-end, Madame Figaro a publié un très bel article sur la maison de Champagne Roederer, et en particulier sur la cuvée Cristal. L’article de Sylvain Ouchikh dessine les contours d’une cuvée unique et magique, peut-être la cuvée la plus connue au monde. L’article est présenté avec un diaporama visible ici. Voici la reproduction de l’article :
Roederer, un Champagne intemporel
Assis sur une tradition de 130 ans, le Cristal de Roederer est aujourd’hui une icône. L’élaboration de ce champagne à la lignée racée bénéficie de toutes les attentions.Avec le Cristal de Roederer, il suffit d’une gorgée pour activer le mythe du champagne d’exception. Bien sûr, on le dit de beaucoup de cuvées, notamment ces dernières années avec la commercialisation de flacons rares à des prix stratosphériques. Mais cette fois-ci, l’affirmation est pleinement justifiée. Ses caractéristiques organoleptiques (sur le fruit à chair blanche dans sa jeunesse et sur la truffe à l’âge mûr), son histoire empreinte de passion avec la Russie au XIXe siècle et les États-Unis aujourd’hui, la forme de sa bouteille à fond plat autrefois en cristal (en verre blanc maintenant), placent d’emblée le Cristal dans une dimension intemporelle.
Et ce n’est pas parce que les stars du show-biz ou les rappeurs en marcel blanc de Los Angeles ont remplacé les tsars de Russie dans sa consommation festive qu’il est à ranger au rayon des boissons triviales et à la mode. D’ailleurs, Frédéric Rouzaud, l’actuel président de la maison, fils de Jean-Claude Rouzaud et arrière-petit-fils de Camille Olry-Roederer, prend acte de la réputation de son vin auprès de cette nouvelle clientèle. « Que peut-on y faire ? C’est comme ça. Je suis certain que Dom Pérignon ou Krug ne négligeraient pas ce business ! »
Aussi, quand on se rend à Reims, on redoute le scintillement des paillettes ou les jets de lumière crue destinés à en mettre plein la vue aux consommateurs bling-bling. Et c’est tout le contraire qui apparaît. La tradition est là, bien assise sur son socle, et, dans les méandres des venelles étroites et souterraines, le calme s’impose et en impose. On est loin des rythmes et des rimes saccadés de Puff Daddy et on se dit que ce n’est pas encore aujourd’hui que les amateurs les plus m’as-tu-vu ébranleront les codes ancestraux de Roederer. Ici, les cent cinquante foudres de chêne se dressent comme autant de gardiens du temple. Ils abritent plusieurs milliers de litres de vins qui mûrissent longuement. Ce sont les « vins de réserve ». Ils interviendront dans l’élaboration finale, pour donner ce ton si particulier, propre à la maison Roederer : un style droit, franc, entier.
À leurs côtés, protégées par tant de majesté, les bouteilles de Cristal attendent patiemment, pendant cinq longues années, dans la pénombre et l’humidité, à une température ambiante constante de 11 degrés (été comme hiver), qu’on vienne les réveiller pour les envoyer vers les États-Unis (premier pays consommateur de Cristal devant la France et l’Italie) et partout dans le monde. Icône de la maison, le Cristal bénéficie d’un soin tout particulier. Élaborés exclusivement dans les belles années, seuls les meilleurs pinot noir et chardonnay issus des parcelles les plus prestigieuses entrent dans sa composition. Pour cela, le chef de caves Jean-Baptiste Lecaillon s’appuie sur un trésor rare et inestimable en Champagne : 214 hectares de vigne dans les trois zones de production de l’appellation (Montagne de Reims, Vallée de la Marne, Côte des Blancs) dont 70 % classés en grands crus.Tandis que les autres grandes maisons se doivent d’acheter en quantité non négligeable les raisins à d’autres récoltants pour élaborer leurs vins, Roederer maîtrise parfaitement son approvisionnement. La maison contrôle en amont et en aval la matière première. C’est cette connaissance du vignoble qui permet de travailler dans la sérénité. Dans les années difficiles, l’expérience acquise est un remède pour parer aux situations délicates. Il suffit de goûter le millésime 1977 pour s’en convaincre. Cette année-là, Roederer fut la seule maison à pouvoir proclamer la réussite de cette vendange.
Maîtresse de son domaine et de sa destinée – fondée en 1776, propriété de la même famille depuis 1819 -, elle demeure, avec Pol Roger et quelques autres, l’une des seules grandes enseignes de champagne indépendante. Elle a sciemment fait le choix de l’excellence au détriment de la quantité. Depuis la création du Cristal, en 1876, le nombre de bouteilles produites, sur cette seule cuvée, n’a pas évolué : entre 500 000 et 600 000 cols quand la récolte le permet. De ce fait, la maison préserve la rareté du produit. Le Cristal reste un vin difficile à trouver. Il se mérite, à plus d’un titre.
Les amateurs qui ont la chance de le déguster (les particuliers ne peuvent le consommer que depuis 1945) découvrent un vin aux facettes multiples. Jeune, il est sur la vivacité, l’éclat. Les bulles fines et alertes envahissent le palais dans un tourbillon enivrant. Quand vient l’heure de la maturité, il délaisse ses strass pour mettre en évidence sa lignée racée. La subtilité de ses arômes donne alors une perception olfactive de brioche beurrée indélébile et la longueur en bouche ne fait que renforcer ce sentiment très agréable. Qu’on le dise en murmurant, en chantant ou en rapant, le Cristal est un vin précieux et le restera !
LE CHIFFRE FOU : 100
En Champagne, plus de 300 communes possèdent un terroir classé. Pour l’élaboration de la cuvée Cristal, on n’utilise que les vignes classées grand cru. Seules 17 communes peuvent revendiquer ce titre. Cette élite de la Champagne est déterminée par un classement hiérarchique dit à 100 %. On trouve ensuite les premiers crus (50 communes) avec une notation comprise entre 90 et 99 % et enfin, les autres, notés entre 80 et 89 %.
LE JOUR OÙ : Le tsar Alexandre II a exigé une bouteille unique sur sa table
En 1876, le tsar demande à Louis Roederer de lui confectionner une bouteille unique, par sa forme et par sa qualité. Les raisins proviendront exclusivement des meilleures parcelles. La bouteille sera en cristal transparent avec un fond plat afin d’éviter à quiconque de cacher sous le flacon une arme susceptible de porter atteinte à l’intégrité physique du tsar.