Critique de Léonce et Léna, de Georg Büchner, vu le 13 mai 2022 au Théâtre Montansier
Avec Maxime Crescini, Sylvain Debry, Jean-Paul Muel, Isis Ravel, Roxanne Roux, Marc Susini, mis en scène par Loïc Mobihan
Cela fait un bout de temps maintenant que je suis Loïc Mobihan. Découvert dans une mise en scène de Michel Fau il y a près de dix ans, dans laquelle il faisait déjà « preuve d’une maturité étonnante pour un si jeune acteur », il a depuis fait ses classes chez de grands noms, de Peter Stein à Claudia Stavisky en passant par Marc Paquien, et le voilà à présent qui laisse de côté son costume de comédien pour enfiler celui de metteur en scène le temps d’un spectacle. Connaissant son style, ses inspirations, son école de théâtre, je n’avais pas beaucoup de doute sur la qualité de ce qu’il pouvait proposer. Mais pour une première fois, je reste quand même impressionnée.
Léonce est un jeune prince qui s’ennuie. Son mariage avec la princesse Léna se tiendra dans quelques jours mais il n’en éprouve aucune joie. Il rencontre par hasard Valério, un vagabond avec qui il fait connaissance et qui semble le sortir momentanément de sa langueur, le décidant même à fuir le royaume avec lui. Les voilà tous deux partis dans la campagne où ils croiseront par hasard la princesse Léna et sa gouvernante, fuyant elles aussi un monde qu’elles réprouvent.
C’est un texte qui respire le romantisme. Tout ce qu’on peut associer à ce courant se retrouve dans la pièce : l’amour, la mort, l’ennui, la mélancolie, le mal du siècle, la rêverie, la nature… La scénographie se nourrit des ces thèmes pour un rendu d’une rare élégance, portée par les magnifiques lumières de Anne Terrasse. Le tempo de la pièce, qui se cherche encore un peu au début du spectacle, se nourrit de la belle toile de fond sur lesquels les différents moments de la journée se distinguent de l’aube au crépuscule, véritablement émerveillement visuel pour le spectateur.
© Jean-Louis FernandezLa parfaite acoustique du Théâtre Montansier donne une belle rondeur à la prose poétique de Büchner. Je me pose souvent la question de la relève des metteurs en scène, ceux qui prônent un théâtre de texte et se mettent au service de celui-ci. Loïc Mobihan est de ceux-là. Il n’a pas choisi la facilité en s’attaquant à Léonce et Léna pour son premier spectacle. Car plus que simplement le respirer, c’est surtout un spectacle qui transpire le romantisme. Ce n’est pas seulement un joli petit conte innocent, mais bien une forte critique de cette aristocratie qui se lamente sans jamais se révolter. Et ce cynisme qui gronde en sous-texte, cette bascule constante entre l’insouciance de l’enfance et la satire féroce, il parvient à la faire passer au spectateur.
Je ne suis pas une grande fan de romantisme. Pour moi, c’est souvent assez indigeste. Mais à travers cette proposition, j’ai découvert une lecture de l’oeuvre que je ne connaissais pas. Au-delà du premier degré, on entend le second, et presque un troisième : je me suis surprise à m’amuser de ces situations dans lesquelles se complaisent les différents personnages.
Il faut reconnaître qu’ils sont très bien dirigés, ces six comédiens, qui se détachent en réalité en trois duos. Composés avec finesse et doigté, ils donnent à voir et à entendre l’ambivalence de la contradiction qui émane du texte de Büchner. On salue bien bas le duo le plus présent au plateau, formé de Léonce et Valerio, Maxime Crescini et Sylvain Debry, le blond et le brun, le mélancolique et le badin. On ressent une véritable connexion entre les deux comédiens, qui semblent parfois former les deux moitiés d’un même cerveau. Contrepoint comique bienvenu pour aérer le tout, le couple formé de l’auguste et fantasque Jean-Paul Muel, et du clown blanc et impassible Marc Susini, est un régal. La paire féminine n’est pas en reste. Composée de Isis Ravel et Roxanne Roux, elle apporte une nouvelle tonalité à la pièce avec un joli mariage d’insouciance et de pétillant. Isis Ravel, tout particulièrement, est une Léna étonnante, qui semble inventer son texte à mesure qu’elle le dit, dans un mélange de légèreté et de profondeur.
Cette oscillation entre ironie et sincérité est un joli tour d’équilibriste. Mais on aurait presque souhaité pousser le tout encore plus loin. Une ironie plus prononcée, développant davantage encore le personnage de Valerio notamment, allant jusqu’à soulever des rires dans la salle entière. Une sincérité plus probante, amenant une touche d’émotion qui peut-être manquait encore sur scène. Mais on est probablement un peu gourmand pour une première mise en scène !
Élégance scénographique, respect du texte, direction d’acteurs au cordeau… Loïc Mobihan signe un premier spectacle plus que prometteur. Un metteur en scène à suivre, assurément !
© Jean-Louis Fernandez