Kihyon se souvient de son admiration pour son frère, de sa passion pour la photographie et surtout de sa petite amie, Sunmi, délicieusement belle et désirable. Il ne compte plus les fois où il rêvait d'être à la place de son aîné, où c'était pour lui et non pour son frère que Sunmi chantait ses chansons, où il les espionnait, misérable envieux prêt à toutes les bassesses pour obtenir un regard de Sunmi. Il se rappelle les incursions dans la chambre de Uhyon, le vol de la seule photo de Sunmi et de sa cassette de chansons, il se remémore l'affrontement avec son frère lorsque ce dernier découvrit que l'auteur des disparitions d'objets c'était lui, le regard rempli de mépris le brûle encore; et il se souvient de son geste vengeur: le vol de l'appareil photo et sa vente clandestine. Ce mouvement d'humeur d'adolescent vexé et honteux aura de graves conséquences sur l'avenir de son frère chéri et abhorré et c'est devant le spectacle terrible de son frère porté par sa mère dans un bordel que Kihyon décide de faire retrouver le goût de la vie à son frère et de tenter d'effacer les marques douloureuses du passé. Pour cela, il ne lésinera pas sur les moyens à employer même si sur le chemin de la rédemption il devra se coltiner avec de lourds secrets de famille.
La scène d'ouverture (on se croirait dans un film) peut désappointer tout comme le chapitre suivant au cours duquel le lecteur est confronté à la situation humiliante de Uhyon mais très vite, le malaise est dépassé par le caractère absolument incroyable du roman, situé entre le roman policier déjanté au road-movie initiatique. Sans paraître y toucher, l'auteur entraîne son lecteur au coeur de relations familiales tendues, mystérieuses et vieilles comme le monde: jalousie, faute, trahison, sacrifice, affrontement psychologique presque fratricide entre un Abel et un Caïn qui à la fois s'aiment et se détestent. Le tout avec les mots justes, sans pathos ni grandiloquence: les émotions sont présentes à chaque phrase comme la pesanteur des non-dits, les images sous les mots simples, ordinaires décrivant des sensations du quotidien, donnent une impression d'univers familier et connu. Lee Seung-u sait aussi conduire son lecteur sur un chemin de poésie en l'espace d'une petite phrase "...j'aimerais me fondre dans cette forêt, je rêve d'aller toucher ce grand frêne qui soutient le ciel, oui, mais aussi le temps." (p 49)
"La vie rêvée des plantes" met en évidence la complexité des sentiments, des aspirations des êtres humains, leur besoin de reconnaissance et d'amour où l'érotisme est sublimé par la présence des arbres (le frêne, l'aliboufier enlacé au pin, le palmier) et des plantes qui frémissent au contact des mains qui leur parlent en les caressant. Parfois, on se croirait en pleine mythologie grecque où les amants malheureux sont transformés en bosquet, arbres solitaires ou étroitement enlacés....autant de formes absolues qu'il y a d'amour. Les histoires et les désarrois humains ont des racines aussi profondes que celles des arbres, ces arbres qui sont sans cesse en filigrane du récit, paysages essentiels de la quête rédemptrice de Kihyon, ce héros un peu balourd qui grandira au fil de ses découvertes et assumera son amour impossible. On sort de cette lecture habité par les images, les sensations, les parfums et les bruissements qui ont pris corps dans l'écriture subtile de Seung-u, on reste longtemps sous le charme de ce palmier qui pousse dans un endroit improbable, symbole d'un amour immense et éternel.
Roman traduit du coréen par Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet
Livre lu dans le cadre du Cercle des Parfumés
Les avis de clochette gambadou