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Bloggeuse invitée: Choléra

Par Pandora

Je vous propose aujourd'hui un des épisodes de la série des David R écrit pas Choléra que vous trouverez sur Epidemik, un blog plutôt déjanté où j'aime me promener et pour lequel j'écris quelquefois. Vous trouverez ici la version originale de ce texte avec les vidéos et bandes sons qui l'accompagnent et pourrez découvrir sur le blog les 15 autres épisodes (celui-ci est le quatorzième mais il ne dévoile pas l'histoire) 

Bloggeuse invitée: Choléra

« Tu seras un tyran et je serais un flan »


1977. David R a 10 ans, j’en ai 6. La cour d’école. Sa famille vient d’emménager. C’est le nouveau. Si certains enfants détestent ce statut, David R s’en accommode fort bien. Il est habitué. Il est toujours le nouveau. Il se fait rapidement des copains mais pas de copines. À dix ans, on n’aime pas les filles. Et à six, les garçons sont une espèce dangereuse. Il habite à côté de chez moi. Je l’aperçois à travers les grilles du jardin. Il joue à des jeux débiles. Celui qui fait vriller mon père. Le rugby. Mon père engage la conversation. Je lève les yeux au ciel. Mon père a toujours regretté de ne pas avoir eu de garçons. David R s’entraîne. Il lance inlassablement son ballon ovale. Mon père lui propose de lui faire des passes. David R est ravi, c’est plus intéressant que de jouer tout seul. Je fais la tête mais je ne bouge pas. Je plonge la tête dans mon bouquin. Le troisième depuis le début de la semaine. Je ne lis pas, je dévore. Mais du coin de l’œil, je le scrute. Je le regarde éclater de rire. Je refuse de constater que c’est un garçon absolument charmant. L’œil rieur. Pff. Les garçons, c’est définitivement idiot….

 
Je le croise à l’école et le mépris est mon pare feu. Il est hors de question que je communique avec un garçon de ce genre. Moi, j’aime Sébastien. Sébastien est blond, gentil et il aime lire comme moi. N’empêche. Quand je suis avec Sébastien, je regarde en douce David R. S’il me surprend, je change mon expression et lui lance un regard désapprobateur. Pff. Il fait n’importe quoi. Mes copines m’assaillent de questions sur lui sous prétexte que j’habite à côté de chez lui. Je ne réponds pas. Ou j’explique que je m’en fous. Parfois, il essaye de me parler à travers la grille du jardin. Je suis en train de grimper sur mon cerisier que j’aime d’amour. C’est un cerisier énorme. Je grimpe, je grimpe tout en haut, loin. Je m’installe sur une branche et je rêve. David R me demande s’il peut me rejoindre. Je ne lui réponds pas. Mon arbre est mon refuge. Je suis cachée et à moins de me voir escalader, personne ne peut savoir que je suis là.

  
Il est malade. Et tout le monde a trouvé très pratique que ce soit moi qui lui ramène les devoirs, les cours sous prétexte que c’est moi, sa voisine. Je fais la tête. Je n’aime pas qu’on me contraigne. Ma mère débarque dans ma chambre. Je suis assise au milieu de tous mes jouets, absolument tous mes jouets déversés sur le parquet de ma chambre trop immense pour une enfant. Elle sait. Elle sait que je n’ai absolument aucune intention de ranger. Je suis la petite fille la plus bordélique qu’il soit. Car il y a toujours mieux à faire : lire, rêver, écrire, jouer à Barbie qui explose Ken. Elle m’annonce la grande nouvelle. Je vais devoir porter secours au voisin, cloué au lit. Je souffle ostensiblement. Mais cette fois ci, j’ai bien compris que ma mère ne céderait pas à mon caprice. La mère de David R m’accueille. Sa chambre est à l’étage. Je pénètre dans son antre. Il est là. Je lui grogne un bonjour. Et je lui jette les photocopies. Il éclate de rire. Pourtant il est pâle. Il est vraiment malade. Il s’ennuie. Il a l’air fatigué, lui si énergique. J’attrape le bouquin sur son lit. « Le petit prince ». David R me demande de lui dessiner un mouton, il rigole. Je ne sais pas dessiner. Mais je veux bien te lire l’histoire. Nous nous réfugions derrière les mots de Saint Exupery. Une heure plus tard, je referme d’un claquement le livre et je m’enfuis.

  
Le temps passant, nous rentrons ensemble de l’école. Parfois, nous ne disons rien. Parfois, il parle, il parle, il parle. Il est l’expansif, je suis l’introvertie. Il fait le clown. Tout le temps. Et quand il m’arrache un sourire, je lis la victoire dans ses yeux. Il a dix ans, j’en ai six. C’est un grand. L’année prochaine, il va en sixième. Je viens juste de rentrer en primaire. Je me sens gaudiche. Il a l’air tellement à l’aise. Sur le chemin, je m’arrête systématiquement à l’épicerie en face de la maison. J’achète des bonbons, des gâteaux, des cochoncetés. Je m’empiffre consciencieusement dans mon lit en bouquinant, seule chez moi. Mon père a lâché l’affaire et ma mère me laisse faire ce que je veux. Je me nourris n’importe comment. J’ai été nourrie à coup de pains au chocolat sans restrictions. Parce que, quand je suis née, j’ai non seulement refusé le lait de ma mère mais aussi celui de substitution. Tout. En bloc.

 
NON.

 
Quand vous êtes face à un bébé qui se rebiffe d’entrée de jeu, vous faites comment ? On a accéléré le processus de nutrition et je suis passée aux fruits et légumes très rapidement. Je voulais déjà grandir. Jour après jour, rituel après rituel, David R m’observe, achetant mes bonbons. Il ne dit rien. Il ne me pose pas de questions. Et je lui souris pour ça. À l’école, chacun de son côté. Ses copains se moqueraient de lui car je n’ai que 6 ans et que je ne suis qu’un bébé. Mes copines me banniraient si elles découvraient que j’étais amie avec un garçon. Lui, en particulier. C’est un farceur, et il adore faire enrager les filles. Il leur soulève leurs jupes, elles ont beau se méfier, c’est un malin, il y arrive tout le temps. Je suis la seule à qui il fiche la paix. Mes copines pensent que c’est parce que je suis sa voisine mais, moi, je sais que c’est à cause de nos trajets, terrain de notre complicité. Comment aurions-nous pu expliquer, nous si différents, que nous avions une véritable connivence. Il est débordant. Je suis timide. Il est ingérable. Je suis la première de la classe. Il est craquant. Je commence à être trop grande, trop maigre.

  
Au final, nous sommes une association de malfaiteurs. C’est un boute-en-train mais il y a une faille, je la devine. Et moi, si gaie et si souriante plus jeune, le mal de vivre me gagne. Nous donnons tous les deux le change. Et ses retours ensemble vers nos maisons respectives sont les seuls moments de répit. Un pacte de confiance décidé en silence. Pourtant, un soir, il m’attend à la sortie de l’école et je ne suis pas là. Il me cherche. Et en désespoir de cause, se décide à passer chez moi. C’est la panique à la maison. Je ne suis pas rentrée. L’atmosphère est tellement tendue qu’il se résigne à rentrer chez lui. Il rentre dans sa chambre et je suis là. La seule explication que je daigne lui fournir, c’est que je ne voulais pas rentrer chez moi. Je suis sortie en vitesse de l’école, j’ai erré un peu sans but et le soir venant, j’ai décidé de me cacher chez lui. Je ne veux pas rentrer chez moi. Il ne me posera pas plus de questions. Je sais qu’il esquisserait bien un geste de tendresse, mais à nos ages, la pudeur règne sans partage.

  
Est ce qu’il entend les hurlements ? Est ce qu’il sait que nous sommes une famille de cinglés et que ce qui se passe dans cette maison n’est pas normal ? Si c’est le cas, il ne dit mot. Je regarde ma famille se déchirer. Et j’ai peur. Non. Je suis parfois terrorisée. Dans la situation dans laquelle nous sommes tous dans cette famille, le pire, c’est l’angoisse. Personne ne sait jamais quand est ce que cela va exploser. Mon père ? Ma mère ? Ma sœur aînée ? Ma sœur cadette joue les filles de l’air et se débrouille pour passer à travers les gouttes. Mais, moi, je n’ai pas le choix. Je suis trop petite pour me barrer. Eux, ils peuvent s’ils veulent. Si je ne voulais pas rentrer chez moi, ce soir-là, c’était juste pour faire comme eux quand ils en ont marre. Et je crois que mon camarade de jeu l’a compris.

  
Quand je rentre à la maison, accompagnée de mon acolyte, je comprends tout de suite que ce que j’ai fait est grave. David R traîne des pieds pour regagner son domicile. Il me regarde, il n’est pas tranquille. Il abdique et m’abandonne. Si j’ai déjà eu peur de mon père, cela n’a rien à voir avec la trouille que j’ai eue. Et sans l’intervention de ma grand mère, je ne sais jusqu’où c’aurait pu aller. Dorénavant, dès que j’observerais ce regard-là chez mon père, je saurais que le pétage de plomb n’est pas loin.

  
David R, le lendemain, fera comme si de rien n’était mais me prendra par la main. J’hésite et je me laisse faire. Dès que nous apercevons des enfants, nous arrêtons immédiatement. Le soir, pour la première fois, je lui offre la moitié de ma récolte de bonbons. Je le laisse grimper sur mon cerisier. Il sait que c’est important. Nous partageons. Nous partageons les bonbons, les livres. Je l’écoute sans broncher me parler de rugby ou de ce qu’il aime. Il écoute, sans les interrompre, mes silences. Il me raconte ses amoureuses, transies ou embrassées. J’ai bien un pincement au coeur mais je sais que j’occupe une place à part. Et c’est celle que je préfère. Lui aussi.

  
Le temps passe. Nous rentrons de l’école. Mais David R s’arrête brusquement et m’annonce qu’il redéménage. Je n’ose dire un mot. Il sent la peine et je sens la sienne. Nous sommes là, plantés comme des idiots. Il s’empare de ma main et malgré ses copains et mes copines qui nous regardent, il la garde serrée dans la sienne. Le lendemain, sa maison est vide. Longtemps, je regarderais à travers la grille du jardin, croyant l’apercevoir. En partant, il m’a laissé son trésor. Son ballon de rugby. Et quand il me manque de trop, je passe des heures à l’envoyer contre le mur, rageusement ou mélancoliquement.
  

“Tu seras un tyran, et moi un flan”

  
Est il réellement devenu un tyran et moi, un flan, comme dans “Jeux d’enfants” ? Non, ce n’est jamais aussi simple. Nous avons tous un côté tyran et un côté flan. Les choses, les gens ne sont jamais ou noirs ou blancs. En vieillissant, nous sommes en demi-teintes, capables du meilleur, comme du pire. Moi, la première. Je peux me faire passer pour un flan mais je peux tout aussi bien devenir le tyran de la pâtisserie…ni tout à fait une religieuse (au chocolat) ni tout à fait une reine de Sabah (toujours chocolat et des amandes en plus). Apte à faire très mal. De quoi sommes nous capables ? De tout, surtout moi. Je me suis fait un pari en écrivant cette histoire. Qui ne satisfera que moi. Je me suis fait une promesse. Et je la tiendrais…
  
“Cap ou pas cap ?
 
 
Cap !”

2008. Quand nous vivons une histoire d’amour, nous aimerions tous savoir comment était l’homme, la femme, enfant. Et si les deux adultes que nous sommes s’étaient rencontrés, enfant ? Quand nous n’étions pas raisonnables. Quand nous n’étions pas abîmés. Quand nous étions encore innocents, vierges de tout et ce dans tous les sens du terme. Cela ne veut rien dire. Nous tombons amoureux de la personne ici et maintenant. Avec ses cicatrices et ses expériences. L’essentiel c’est de, parfois, apercevoir au détour d’un regard, d’un rire ou d’une attitude, l’enfant. Ce chapitre était un tour de passe passe. Un tour de magie d’écriture, l’espace où il n’y a ni limites ni d’impossibles.

  
C’était mon dernier tour. My last trick…


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