Scène 4 (suite et fin)
CUNEGONDE
Et bien voila ! Enfin !
DAKTARI
Au fond, c’était facile.
LA LANGOUREUSE ARIELLE (A Fifi)
Je te hais, vieux corbeau ! Va donc, tu m’horripiles !
CUNEGONDE
Il nous faut réfléchir à un plan efficace.
Lequel a une idée ? Je lui cède la place.
LA MADONE
On se rend à la cour, on fait la révérence,
On tire dans le tas, on sauve la régence
Et puis on s’en retourne à nos occupations.
LANLAN
Plan très intéressant, mais sans cogitation.
FIFI
C’est inepte, ça oui !
CUNEGONDE
Plutôt irréfléchi.
Peut-être ai-je bien l’air de faire des chichis
Mais il est discourtois d’arriver dans un lieu
Et de le transformer en cimetière à bœufs.
LA MADONE
Et que proposes-tu pour finir nos ennuis ?
CUNEGONDE
D’attendre gentiment le rapport de Rosie.
Elle doit revenir après un court séjour
Auprès de la régente et auprès de la cour.
Elle nous décrira l’exacte situation
Et nous pourrons alors fomenter une action.
(Bruit de pas dehors. Une toux s’élève. Une clef tourne dans la serrure.)
Et d’ailleurs la voici.
(Rosie rentre, couverte de neige et de glace.)
Scène 5
Les mêmes, Rosie la Terreur
ROSIE
Vraiment, quel temps pourri !
Un lieu si atroce devrait être détruit.
(Elle se secoue et envoie de l’eau sur tout le monde. Réactions variées.)
CUNEGONDE
Viens là, chère Rosie et fais-nous ton rapport.
ROSIE (stupéfaite en voyant les nouveaux arrivés)
Que font là ces vautours ? Ils ne sont donc pas morts ?
CUNEGONDE
Le chiendent, tu le sais, a la vie plus que dure.
ROSIE
Ca va être l’enfer.
LA MADONE (mielleuse)
Juste une sinécure.
Mais remets-toi bien vite et dis-nous ton avis.
ROSIE
A quel propos ? La Cour ? Ou bien sur ces débris ?
CUNEGONDE
Cesse de caqueter, tu me mets en colère.
Fais ce que l’on te dit. Va, parle, déblatère !
ROSIE
Et bien la cour, Madame, est dans un triste état.
La Régente enfermée n’ose plus faire un pas.
Elle a peur de tomber dans un des guets-apens
Que sa sœur a tramés avec d’affreux manants.
CUNEGONDE
La sœur dénaturée n’est donc pas dans le nord ?
ROSIE
Elle en est revenue malgré le désaccord
De sa bande de gueux. Sa cachant alentour,
Elle attend le moment de se montrer au jour.
Mais à la cour elle a de très puissants appuis
Prêts à intervenir au premier de ses cris.
Le danger, il est vrai, rôde autour de la reine :
Pour ajouter encore à ses affreuses peines,
Elle n’a pour amis que ses deux conseillers,
Car même sa suivante a la cour déserté.
Il ne lui reste rien, que les yeux pour pleurer.
Elle attend tout de vous, et n’a qu’un mot : « venez ».
CUNEGONDE (émue)
Que ton récit m’attriste et déplait à mon âme.
ROSIE
J’ai dit ce que j’ai vu. Evitez-moi le blâme.
CUNEGONDE
Rassure-toi, Rosie, tu n’es pas concernée.
Par cette affreuse sœur je suis très courroucée.
Comment ose-t-elle donc mettre un roi en péril ?
Il faut que son esprit soit devenu bien vil.
A la Cour de mon ex, on faisait des magouilles,
Des plans toujours foireux montés par des andouilles.
Mais jamais on ne vit pareille fourberie :
Du Président élu, on respectait la vie.
LA MADONE
Pourquoi donc l’imparfait ? La Cour n’a pas changé.
C’est bien le même lieu, je peux te l’assurer.
DAKTARI
Qu’en sais-tu ? Au palais, tu n’es jamais priée.*
LA MADONE
Je le sais, voilà tout.
LA LANGOUREUSE ARIELLE (montrant la Madone )
Je suis de son côté.
CUNEGONDE (A Daktari)
Point n’est besoin vraiment de hanter le palais
Pour savoir les complots que là-bas l’on y fait.
Cet art de louvoyer qu’on nomme politique
Qui réclame un esprit des plus acrobatiques,
Cet art de gouverner qui nous vient de si loin
De belle hypocrisie a seulement besoin.
Pourquoi dire le vrai quand on peut bien mentir ?
Pourquoi des ennemis alimenter le tir ?
Pourquoi donc obéir quand on peut comploter
Et du feu les marrons savoir très bien tirer ?
Oui, je connais la Cour , je sais ce qu’elle vaut,
Je me souviens encor qu’autour de mon nabot
Gravitaient des crapauds bavant leur ambition
Et faisant feu de tout, même de leurs missions.
Ce désir de pouvoir que révélaient leurs actes
Annulait toute foi en la valeur des pactes
Qu’ils signaient sans trembler, sans une once de peur,
Et qu’ils trahissaient bien, parfois même sur l’heure.
LA MADONE
Te crois-tu, ma chère, la seule concernée ?
Aussi dans mon parti, les complots sont aisés.
Songe à mes éléphants qui trompent sans vergogne,
Songe à ces beaux jeunots qui sur moi-même cognent,
Songe à tous ces menteurs se disant socialistes
Et qui n’ont qu’une idée : être en tête de liste.
Ce grand jeu de la cour ne m’est pas inconnu
Car je l’ai pratiqué, pensant bien être élue.
ROSIE
Et ton rêve a fini en beau tas de fumier.
LA MADONE
Mon rêve seulement. Pas la réalité.
FIFI
Comme je suis amer d’entendre ces discours !
Quel bien triste aperçu donnez-vous de la cour !
CUNEGONDE
Triste, mais vrai, hélas ! Car il est très courant
D’entendre blanc un jour et noir le jour suivant.
LA LANGOUREUSE ARIELLE
J’adore vos discours mais je n’y comprends rien.
Ne pourrions-nous ici être plus tacticiens ?
CUNEGONDE
Arielle est dans le vrai : il faut nous ressaisir,
Réfléchir à un plan et à la cour partir.
FIFI
La Reine nous attend ; rendons-nous donc sur place
En chemin nous verrons comment être efficaces.
DAKTARI
Bien parlé, ô Fifi !
LA MADONE
Ca nous change, vraiment.
CUNEGONDE
Cessons donc les combats. Que cet apaisement
Soit pour nous le moyen de secourir la Reine
Et de mettre une fin à ses horribles peines.
(Tout le monde s’habille et sort dans une confusion indescriptible.)
(A suivre)