Parallèlement, la dimension sonore est mise en avant, à commencer par les références explicites aux musiciens des oiseaux : Prokofiev, Rameau, Hahn, Sculthorpe ou Saint-Saëns… La langue chante, « ça piaille craquette criaille », le « chœur des oiseaux » scande les strophes du recueil dans l’évidence visuelle et sonore d’une aube nouvelle. En prenant pour prélude la célèbre flûte de Pierre et le loup, Albertine Benedetto installe son motif aviaire et enfantin : « en quelques notes/ l’enfance revient ».
Cette enfance « sans cervelle » qu’on appelle de nos vœux, si proche de « l’entêtement futile des oiseaux ». Et nous voilà rêvant à ces oiseaux-enfants si éloignés de ce que nous sommes devenus,
« ne sachant voler / qu’avec de lourds jouets »
L’homme devenu si pesant (« nos carcasses/rivées/à la pesanteur ») qu’il en vient à nuire à l’oiseau :
« imagine qu’ils se prennent les ailes/ dans nos câbles nos lignes/ nos rails nos machines/ l’espace saturé de notre déraison ».
Que peut dès lors la langue poétique face à celle des oiseaux ? Loin d’être la tentative vaine d’une transposition verbale, le chant se mue plutôt en champ de réflexion sur l’incapacité humaine à s’inspirer des trilles et autres ramages : « la langue échoue devant la grâce/se met à écorcher l’air/d’être pesante et terre à terre ». Mystérieuse langue de l’oiseau, « comme un appel/jamais déchiffré », mais terriblement féconde comme la voix du rossignol qui « ensemence le chant », langue qui se nourrit d’elle-même, impénétrable et pourtant reconnaissable. La fécondité de l’oiseau-poète apparaît alors dans toute sa créativité enfantine et spontanée.
A l’image du cygne mallarméen, ces oiseaux signifient. « Journée sous le signe du passereau/trouvé ce matin mort sur le trottoir/de la mort commune des moineaux ». Ils sont légers et fragiles et nous rappellent, comme le rouge-gorge enterré des pages terminales, que passe le temps « qui jaunit tout ». « Le rouge-gorge ce matin / en allé sous la terre (d’une main pieuse tu as gratté le sol/ couché la dépouille sous les feuilles l’œil vide/ pattes raidies sous la paroi de la mort)/ son ombre aveugle le jardin. »
Des oiseaux signes autant que signaux (sonores) dont il faut savoir appréhender le sens. Une invitation à s’inspirer de leur légèreté, à prendre leur fragilité comme patente notre propre finitude : ici se situe précisément le regard poétique, éloigné de tout lyrisme (« fini le rire des dieux/ l’azur, ah l’azur des lyriques/ s’est dissout dans les hauts fourneaux »). La seule langue qui vaille est celle, épurée en brèves strophes, qui sied à l’approche simple et contemplative des inspirants volatiles. Une posture qui, en définitive, se situe bien au-delà de la simple problématique lyrique : que chacun retrouve l’oiseau en soi, telle semble être l’incitation poétique d’Albertine Benedetto.
Jean-Marc Pontier
Albertine Benedetto, Sous le signe des oiseaux, éditions l’Ail des Ours, 2021, 74 p., 8€
Extrait : (p. 29)
Par les voix multiples du café te revient
la note isolée
d’un oiseau entendu ailleurs
note répétée
comme un appel
jamais déchiffré
qui insiste pourtant revient
heurter le cœur
la dernière fois déjà tu ne savais pas
mais l’appel
lancinant s’est inscrit
dans la couleur ce jour-là
comme une entaille
dans le matin étale
un avertissement sourd