" Le marchandage entre la France insoumise, les Verts, les socialistes et les communistes (...) : cet accord est dominé par des intérêts strictement électoraux puisqu'il s'agit, d'un côté, d'adouber un chef, le lider maximo Jean-Luc Mélenchon, et de l'autre, d'échanger des convictions contre des circonscriptions. Cette dimension politicienne de l'opération lui donne un caractère plutôt minable. " (Jean-Louis Bourlanges, "Le Figaro", le 4 mai 2022).
Quand on parle de capitulation ou de bérézina, pense-t-on au PS ou pense-t-on à la Russie ? Peut-être aux deux. Le jeudi 5 mai 2022, le député MoDem des Hauts-de-Seine Jean-Louis Bourlanges était l'invité d'Élizabeth Martichoux à la matinale de LCI, pour évoquer la situation en Ukraine (il est le président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée Nationale depuis le 27 janvier 2021, à la suite de la disparition de Marielle de Sarnez), et il en a profité pour donner son commentaire indigné sur l'accord stupéfiant entre le PS et FI.
J'apprécie beaucoup Jean-Louis Bourlanges depuis une quarantaine d'années. Il a toujours su relever le niveau du débat politique national. Mais ce côté intellectuel l'a probablement défavorisé au point de n'avoir jamais été ministre alors qu'il aurait été l'un des plus méritants. Il a eu peu de mandats politiques et son élection comme député des Hauts-de-Seine en juin 2017 était nouvelle pour lui qui n'avait pas encore été parlementaire national. À 75 ans, après de nombreuses hésitations et poussé par Emmanuel Macron autant que par ses amis, il a finalement accepté de se représenter aux élections législatives de juin 2022 pour second mandat. Il avait pourtant envisagé de prendre sa retraite (n'imaginant pas être député encore à ses 80 ans), mais au-delà des très pressantes sollicitations de ses amis, il trouve aussi que la période est très riche et cruciale dans les relations internationales dont il est un spécialiste reconnu.
L'étiquette du MoDem n'était pourtant pas une évidence, puisque, parmi les soutiens de la candidature de François Bayrou à l'élection présidentielle de 2007, il avait refusé d'adhérer au nouveau parti de ce dernier, le MoDem. À l'origine gaulliste, issu dans sa jeunesse étudiante de l'UJP (Union des jeunes gaullistes), il s'était rapproché de l'UDF mais s'était retrouvé orphelin de parti en 2007, refusant la ligne "ni-ni" de François Bayrou (il avait voté pour Nicolas Sarkozy au second tour en 2007) : " Entre l'UMP, le MoDem et le Nouveau centre, les enfants de l'UDF n'ont le choix qu'entre une reddition, une secte et un camp de réfugiés. ". Il a ainsi osé participer (seul) au congrès fondateur du MoDem pour dire qu'il n'y adhérerait pas. Finalement, embarqué dans l'aventure macronienne de 2017, il a préféré se rallier à la "secte" au gourou retiré qu'à la reddition directe sous la bannière de LREM (cette fois-ci).
Ce n'était pas la première fois qu'il était un électron libre dans les structures du centre droit, puisqu'en 1988, après l'échec de la droite à l'élection présidentielle, il avait fait "fureur" en publiant "Droite, année zéro" (chez Flammarion) qui était une très sévère critique de Jacques Chirac, de la cohabitation et de la droite en général : " À cette France nouvelle, idéologiquement libérale-socialiste et politiquement insatisfaite, la droite n'a offert depuis des années que le spectacle de ses contradictions : coincée entre la nostalgie paléo-libérale de l'État fainéant et la tradition technocratique de l'État tout puissant, elle souffre aujourd'hui d'une profonde crise d'identité. Pour surmonter sa défaite, il lui faut d'abord inventer un libéralisme démocratique qui soit moins tourné contre la puissance publique que contre l'abus de pouvoir sous toutes ses formes. Il lui faut surtout faire pénétrer ce libéralisme, c'est-à-dire le respect des différences, le partage du pouvoir, la religion du droit, dans sa propre maison et en finir avec ce mélange indigne d'anarchie clanique et de soumission administrative qui lui tient lieu de culture politique. ". Oserais-je dire que cette analyse reste encore d'actualité ?
Réflexions et analyses profondes, sens de la formule, Jean-Louis Bourlanges avait donc tout pour devenir un grand politique. IEP, agrégation de lettres, ENA, Cour des Comptes, le haut fonctionnaire s'est essayé à quelques tentatives électorales : il a été élu conseiller municipal de Dieppe de mars 1983 à mars 1989, conseiller régional de Haute-Normandie de mars 1986 à mars 1998, et son mandat qui l'a caractérisé, c'est celui de député européen, puisqu'il y a été élu et réélu de juin 1989 à décembre 2007, sur la liste menée par Simone Veil en juin 1989, celle menée par Dominique Baudis en juin 1994, celle menée par François Bayrou en juin 1999, puis en juin 2004 (le scrutin s'étant régionalisé, il fut la tête de liste du Nord-Ouest). Il fut appelé pour prendre la tête de liste aux élections municipales de Rouen en mars 2001, mais finalement, il s'est désisté et ce fut le centriste Pierre Albertini qui l'a remplacé (et a été élu).
Centriste et européen, Jean-Louis Bourlanges a une stature intellectuelle qui le rend exceptionnel dans la classe politique, fin connaisseur tant des relations internationales que de la politique intérieure française et des finances publiques (il est l'un des rares parlementaires à maîtriser la loi de finances). Président de la section française du Mouvement européen entre1995 et 1999, il s'est beaucoup investi au Parlement Européen, prenant de nombreuses responsabilités, en particulier : président de la commission du contrôle budgétaire d'avril 1993 à juillet 1994 et président de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures.
Sur le plan national, le Président Nicolas Sarkozy l'a nommé parmi les membres du Comité Balladur pour la réforme des institutions. Pendant une dizaine d'années, il est resté à l'écart de la vie politique active, autour de 2010, pour des raisons familiales, préoccupé avant tout par la santé de son épouse.
Jean-Louis Bourlanges, par son expérience et par ses observations, est donc régulièrement invité sur les plateaux de télévision pour proposer ses analyses toujours passionnantes de la vie politique et internationale. Le 4 mai 2022, a été publiée une longue interview dans "Le Figaro" au titre très évocateur : " La capitulation des gauches devant Mélenchon est une bérézina idéologique ". Et il a enfoncé le clou le jeudi 5 mai 2022 sur LCI.
Ayant eu encore un peu de respect pour le parti socialiste, Jean-Louis Bourlanges a pourfendu l'accord complètement scandaleux que ce parti a passé avec Jean-Luc Mélenchon : " Cet accord (...), c'est absolument minable. Cela se résume très simple. Je troque mes convictions contre des circonscriptions. Et je troque toutes mes convictions contre quelques circonscriptions. En plus, c'est un marchandage qui est idiot. ". Idiot car Jean-Luc Mélenchon ne sera pas Premier Ministre. Par conséquent, cette opération NUPES est un véritable leurre.
Mais Jean-Louis Bourlanges y a vu aussi un changement historique, le PS refusant désormais de redevenir un parti de gouvernement : " Les choix fondamentaux des socialistes ont été mis en cause à travers cet accord, les choix qui sont faits depuis la guerre. C'est un socialiste, Ramadier, qui a écarté les communistes au moment de la guerre froide. Ce sont les socialistes qui ont signé le Traité de Rome. Guy Mollet qui a signé le Traité de Rome. C'est François Mitterrand qui a animé avec force le combat contre les fusées russes avec ce fameux discours de Bonn de1983. Qui ont été constamment fidèles à l'Alliance atlantique, à la construction européenne et à l'économie de marché, à condition que l'économie de marché soit corrigée par de profondes mesures de redistribution. C'est tout cela qui, d'un trait de plume, pour quelques circonscriptions, quelques plats de lentilles vraiment dérisoires, qui est mis en cause. Donc, je comprends vraiment l'indignation de Cazeneuve, Cambadélis et de quelques autres qui disent : mais que fait-on de notre héritage ? ".
Il a réfuté l'idée que les socialistes ne représentaient que le score de leur candidate Anne Hidalgo dont, par ailleurs, il n'appréciait pas la politique à Paris : " Ce n'est pas 1,7. En réalité, une grande partie de l'héritage social-démocrate avait été captée par Emmanuel Macron. (...) Il n'est pas le fossoyeur [du PS], il est le clarificateur, ce que Hollande n'a pas été. Hollande voulait tenir dans le même attelage des chevaux allant dans des directions différentes. (...) Et il a cassé là-dessus, c'est pour cela qu'il ne pouvait pas se représenter, car il ne pouvait plus tenir son attelage. (...) De Mendès France, François Mitterrand, à Michel Rocard, Jacques Delors, et, du côté vert, Dany Cohn-Bendit, ont tous choisi le camp de la modernisation, de façon un peu tortueuse pour Mitterrand évidemment, mais le camp de la modernisation, le camp de l'Europe, le camp de la sécurité collective avec nos alliés, le camp du refus de la dictature, et c'est cela qui est bradé pour rien. ".
De plus, Jean-Louis Bourlanges a souligné que Jean-Luc Mélenchon, qu'il a qualifié de lider maximo du néopoutinisme, n'a pas du tout l'intention d'aller à Matignon puisqu'il ne table que sur 200 circonscriptions éligibles par sa coalition, soit loin de la majorité absolue : " Je dis que dans l'esprit même de Mélenchon, les calculs électoraux qui sont les siens démentent son projet politique affirmé. ".
Également historien à ses heures perdues, après avoir cité Tacite et Thucydide, le député centriste a fait la comparaison avec l'élection présidentielle de 1969 : " [Mélenchon] considère que toute défaite est une promesse de victoire différée. (...) Jacques Duclos, qui a fait, en tant que représentant du parti communiste en 1969, un score comparable à celui de Mélenchon, n'a jamais imaginé, lui, qu'il serait chef d'État ni Premier Ministre de Pompidou ! ".
Et peut-on parler de capitulation et de bérézina pour la guerre en Ukraine ? Et pour quel camp ? En tout cas, Élizabeth Martichoux avait évidemment interrogé Jean-Louis Bourlanges dès le début de l'interview sur Vladimir Poutine et la sécurité en Europe (LCI semble d'ailleurs être devenue une chaîne carrément ukrainienne !). En particulier, il a dit se méfier du Président russe : " Je crois qu'il faut toujours se méfier de Vladimir Poutine, qui est un personnage dominé (...) par son orgueil, par la certitude ou l'idée d'avoir fait un mauvais choix et le refus absolument de se l'admettre, le reconnaître lui-même, avec tous les risques de surenchères que cela implique. ". En d'autres termes, Jean-Louis Bourlanges fait partie de ceux qui prennent avec sérieux les risques d'extension de la guerre au-delà de l'Ukraine voire la menace nucléaire.
Car la fierté de la Russie ne peut accepter une défaite sur le terrain ukrainien : " Plus les Russes sont en situation de faiblesse, plus les Russes sont dans l'impasse, plus ils brandissent une menace d'extension du conflit. Face à cela, je pense qu'il faut faire preuve de sang-froid, de modération. Le Président Theodore Roosevelt disait, au début du siècle dernier, qu'il fallait parler doucement et avoir un gros bâton. ". Pour le président de la commission des Affaires étrangères, Joe Biden est le "gros bâton" et la France (ou l'Europe) devrait être le "parler doucement".
Pour Jean-Louis Bourlanges, c'est Vladimir Poutine qui a encouragé l'Europe à rester unie sous protection américaine : " Qui aurait jamais douté, en tout cas, pas moi, que la sécurité fondamentale de l'Europe restait exercée par la protection américaine, et que notre souci depuis une dizaine d'années, c'est de voir que les Américains se désintéressaient de l'Europe, ne considéraient plus la Russie comme une menace et ne s'intéressaient qu'à la Chine ? Et Poutine, de façon extrêmement inopportune selon ses propres intérêts, a ramené les États-Unis à cette préoccupation fondamentale depuis la guerre froide, depuis la fin de la guerre. ".
Mais il n'y a pas de vassalisation des pays européens dans l'OTAN, et c'est même à cause de cela que c'est un modèle dont ne veut pas Vladimir Poutine : " L'alliance occidentale est une alliance de peuples libres qui mutualisent leurs forces, évidemment avec un pays qui a des moyens militaires et financiers beaucoup plus importants que les autres. ".
Marioupol est devenue une ville fantôme, tout est détruit. L'armée russe est comme un rouleau compresseur qui tue tout le monde et qui détruit tout : " Chaque fois que les Russes gagnent en Ukraine un centimètre du territoire, c'est un centimètre de désert en plus. ". C'est le désert russe.
Bien sûr que les sanctions des Européens contre la Russie coûtent aussi aux Européens. Jean-Louis Bourlanges, gaulliste à l'origine, aime bien citer De Gaulle sur l'effort : " Le Général De Gaulle disait : "le salut exige la victoire, mais le succès coûte l'effort". Si nous croyons que les forces européennes, occidentales, peuvent se dispenser de tout effort pour gagner cette confrontation vis-à-vis de la Russie, préserver leur indépendance, sauver l'unité de l'Union Européenne, assurer la sauvegarde et la liberté de l'Ukraine, s'ils pensent le faire sans effort, ils se trompent. ".
Avant la nomination du nouveau gouvernement, en analysant deux sujets d'actualité très prégnants, l'accord de la NUPES derrière Jean-Luc Mélenchon et la guerre en Ukraine, Jean-Louis Bourlanges a bien sûr utilisé son intelligence et son sens du raisonnement, mais aussi ses émotions et sa passion, son droit à l'indignation, à propos d'une certaine idée qu'il se fait et de l'Europe en proie aux menaces de Vladimir Poutine, et de la gauche complètement décomposée idéologiquement par Jean-Luc Mélenchon qui l'a incroyablement humiliée.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (05 mai 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Jean Faure.
Jean-Louis Bourlanges.
François Bayrou.
Joseph Fontanet.
Marc Sangnier.
Bernard Stasi.
Jean-Louis Borloo.
André Rossinot.
Laurent Hénart.
Hervé Morin.
Olivier Stirn.
Marielle de Sarnez.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220505-jean-louis-bourlanges.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/pour-jean-louis-bourlanges-c-est-241404
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