Lu sur le blog de Jean-Luc Mélenchon au sujet du Congrès du PS :
«Car si nous échouons nous connaissons le résultat. Il est sous nos yeux en Italie. La gauche historique, socialiste, communiste et Verte est rayée des deux assemblées. C’était pourtant le modèle invoqué à la tribune du précédent congrès socialiste qui faisait la fête à Prodi avant d’aller tous défiler en rangs serrés devant le pitoyable Walter Veltroni, le blair italien qui a tué la gauche. On ne peut éviter ça sans une certaine intransigeance.»
Le sénateur de l’Essonne, on le voit, a changé d’épouvantail. Du New Labour, avant-hier, à la SPD, hier, il a trouvé aujourd’hui un nouveau repoussoir pour justifier son job à plein temps de gardien autoproclamé du temple socialiste : la gauche italienne.
Mélenchon a ceci de commun avec les réactionnaires : il aime méditer sur ce qu’il tient pour de la décadence. Celle qu’il préfère, c’est bien entendu la décadence dont il pense que le socialisme est frappé, et qui paraît d’ailleurs lui procurer une singulière jouissance. En effet, dès qu’il peut taper sur Blair, Beck, Prodi, Veltroni, Royal, bref tous ceux qu’il tient pour responsables de l’éradication de la gauche « authentique et populaire » en Europe, il le fait avec gourmandise, sans tenir compte bien entendu des contextes politiques nationaux.
On a montré, il y a quelques semaines, l’inanité du scénario à l’allemande. D’autres ont mis en évidence un certain nombre de choses intéressantes au sujet de Blair (nationalisation du rail et de l’énergie), que l’on ignore superbement en France.
Aujourd’hui, il convient de dire quelques mots sur la situation italienne qui permettront, du moins l’espère-t-on, de relativiser grandement la portée de la prose vengeresse de l’agité de Massy.
1) Le PSI a disparu depuis quatorze ans de la vie politique italienne. Celui-ci s’est en effet dissous en 1994, à l’issue de son 46ème Congrès, non aux termes de savantes disputes idéologiques sur «socialisme», «social-démocratie» et «social-libéralisme», mais en raison de l’opération anti-maffia et anti-corruption «Mani pulite» (Mais propres) débutée le 17 février 1992, à l’initiative du juge Di Pietro. Le PSI ne s’en est jamais remis comme la Démocratie chrétienne qui, elle, régnait sur la vie politique italienne depuis l’effondrement du régime fasciste et la proclamation de la République en 1946. Depuis 14 ans, les socialistes italiens vivent dans la désunion et peinent à trouver un terrain d’entente pour jeter les bases d’une structure politique commune. En mars dernier un PS s’est fondé tandis que le Parti des démocrates de gauche de Walter Veltroni, issu de l’ancien PCI, a choisi de se fondre dans une coalition de progressistes appelée « La Marguerite ».
Compliqué n’est-ce pas ? On est loin de la vision binaire du sénateur de l’Essonne.
2) La gauche italienne, pour des raisons totalement différentes et dans un contexte politique tout à fait autre, se retrouve donc dans une situation qui ressemble un peu à celle que la gauche démocratique française a connue dans les années soixante. Des guerres de chapelles, lesquelles s’excluent mutuellement ou se rabibochent au gré des circonstances politiques, tout en sachant pourtant qu’elles n’ont pas d’autres choix que de s’allier pour espérer battre la droite, car le système italien est radicalement différent du système politique français.
3) L’Italie est sous un régime républicain parlementaire strict où le mode de scrutin est la proportionnelle intégrale. Les majorités ne peuvent donc être que le résultat de coalitions. Le président du Conseil italien doit forcément être un homme de compromis, s’il veut assurer la pérennité de son gouvernement et espérer mettre en œuvre le programme pour lequel le parlement l’a élu. Et le moins que l’on puisse dire est que ce n’est pas chose facile. En effet, depuis 1946, l’Italie a connu 38 gouvernements ! Depuis 20 ans, 12 gouvernements se sont succédés.
Malgré cette instabilité politique chronique et le coup de tonnerre de l’opération Mani pulite, que Mélenchon évite soigneusement de rappeler, l’Italie a cependant connu 4 gouvernements issus d’une coalition de gauche (Prodi I, d’Alema, Amato, et Prodi II) depuis 1996.
Ces trois raisons – non exhaustives il va de soi – montrent toute la complexité de la situation politique à laquelle la gauche italienne est confrontée. Celle-ci n’est absolument pas réductible aux lubies du sénateur de l’Essonne qui a une fâcheuse tendance aux comparaisons incongrues.
Mélenchon, depuis plusieurs semaines, se répand dans les médias, en ironisant sur la défaite de la gauche italienne, en en imputant la responsabilité au camarade Walter Veltroni (ancien maire de Rome). A l’écouter, l’avènement de Berlusconi serait uniquement la conséquence de la dérive social démocrate de la gauche italienne. Ce qui est une totale ineptie. L’échec des réformes engagées par Prodi doit beaucoup, hélas, à l’incapacité du gouvernement de restaurer les prérogatives de la puissance publique. L’Etat italien est structurellement malade. On l’a vu, par exemple, avec la montée de l’irrédentisme piémontais depuis une dizaine d’années ou, bien, plus récemment encore, avec l’impossibilité de mettre en place des solutions pour résoudre la « crise » (c’est un euphémisme) du traitement des ordures ménagères à Naples. Et puis, il est difficile d’engager des réformes audacieuses quand on doit sans cesse veiller à la stabilité de la coalition dont on est issu.
Que cherche donc Mélenchon avec ses histoires italiennes ? Tout simplement à détourner l’attention des siennes, notamment de son double jeu permanent qui consiste, d’une part, à faire comme s’il défendait les intérêts du Parti socialiste, et d’autre part, à travailler en sous main contre ce dernier. On a pu s’en rendre compte lors des dernières municipales à Mende où son association – le PRS – a présenté une liste commune avec l’extrême gauche contre celle du PS-Modem. Au nom de l’intransigeance politique, dont Mélenchon se prévaut, la ville Mende aurait très bien être livrée aux sarkozistes. Fort heureusement, il n’en a rien été.
Mais cet épisode, on ne l’a pas oublié et on se demande toujours comment il se fait que Mélenchon, membre du conseil national et du bureau national du PS, puisse être également le président d’une officine politique qui, localement, travaille activement contre les intérêts du PS. C’est un comportement pour le moins curieux de la part d’un homme qui veut sauver la gauche de la mort politique.
Il semble par ailleurs que le cas mendois ne soit pas isolé. Sauf erreur, une situation similaire s’est produite dans les Ardennes, elle aussi sans conséquences dommageables pour le PS. Lecteur, si tu as d’autres exemples, n’hésite pas à le mentionner.
Par conséquent, quand Méluche fera son numéro à la tribune au Congrès en prenant ses accents d’imprécateur, on espère de tout coeur qu’il y aura au moins un orateur suffisamment couillu pour modérer ses ardeurs de tribun et lui rappeler un certain nombre de faits.