“Il n’y a pas de médecine de précision sans diagnostic », écrivent ces chercheurs, cancérologues et dermatologues de l’Université de Harvard. Pourtant, 85 à 90% des mélanomes sont diagnostiqués uniquement sur la base de biopsies. L’équipe propose donc d’améliorer la précision du diagnostic du mélanome à l’aide de nouvelles techniques d’imagerie qui apportent des informations moléculaires sur l’écosystème tumoral et permettent ainsi de mieux caractériser la tumeur.
Le mélanome est un cancer un peu inhabituel qui, à partir d’une lésion sur la peau, peut rapidement devenir mortel en se propageant à d’autres organes. Lorsqu’il est détecté tôt, le mélanome peut être traité, par une simple intervention chirurgicale, et il existe également de meilleurs traitements pour les stades plus avancés, dont des immunothérapies qui boostent le système immunitaire et l’aident à mieux combattre le cancer.
Un atlas des différents types de mélanome et des modèles d’interactions cellulaires
S’il est de mieux en mieux traité, de nombreux aspects du développement du mélanome restent mal compris, et il reste une large marge d’amélioration dans la détection et le traitement des cas les plus agressifs. Avec cet atlas, il va devenir possible de mieux comprendre l’évolution de la tumeur et notamment comment elle prend parfois le pas sur la réponse immunitaire.
Cette cartographie est réalisée au niveau cellulaire (de la cellule unique) et avec des détails sans précédent, comment la cellule de mélanome et ses cellules voisines, y compris les cellules immunitaires, interagissent au fil du développement de la tumeur. Ces modèles révèlent que ces interactions entre les cellules évoluent avec la croissance du mélanome.
Comprendre les premiers stades et événements dans le développement du mélanome, c’est ce que permettent ces nouveaux modèles, commente l’auteur principal Ajit Nirmal, chercheur à la Harvard Medical School. L’objectif est de donner accès à cet atlas du mélanome à la communauté scientifique dans le cadre du National Cancer Institute’s Human Tumor Atlas Network et de permettre ainsi aux cliniciens de mieux diagnostiquer le mélanome et de le traiter de manière plus personnalisée, en fonction du profil tumoral individuel de chaque patient.
Comprendre le micro-environnement tumoral, un facteur clé : ces dernières années, une quantité considérable de recherches sur le mélanome s’est concentrée sur 2 domaines, le séquençage de l’ADN d’échantillons de tumeurs précoces pour comprendre les changements génétiques qui se produisent lorsque ce cancer apparaît et le séquençage d’ARN unicellulaire de l’environnement immédiat de la tumeur : le microenvironnement tumoral, qui joue un rôle essentiel dans le développement de la tumeur.
« Ce que nous ne savions toujours pas, c’est comment le microenvironnement est organisé pour permettre à une tumeur de se développer», relève l’auteur principal. En théorie, les cellules immunitaires sont censées identifier les cellules tumorales et les tuer très rapidement, mais ce n’est pas ce qui est constaté dans la réalité.
Comprendre l’hétérogénéité tumorale : dans le mélanome avancé, l’état des cellules cancéreuses diffère selon leur emplacement physique. Les cellules au milieu de la tumeur entourées d’autres cellules cancéreuses se comportent différemment des cellules situées sur les bords extérieurs de la tumeur. Ces dernières peuvent en effet interagir avec les cellules immunitaires et les cellules stromales voisines. Cette hétérogénéité tumorale permet également de comprendre pourquoi et comment certaines parties d’une tumeur survivent au traitement, tandis que d’autres sont plus vulnérables.
De nouvelles technologies d’imagerie unicellulaire pour comprendre : ces techniques plus avancées, y compris l’immunofluorescence cyclique, ou CyCIF, ici combinée avec la microscopie 3D haute résolution et le séquençage d’ARN à grande échelle ont permis de créer ces cartes expliquant comment les cellules interagissent lorsque les tissus sains évoluent en mélanome.
Tout voir, même sous la peau !
« Aujourd’hui, nous sommes capables de tout voir, de la peau normale aux lésions précoces en passant par le mélanome invasif ainsi que la bataille entre les cellules tumorales et les cellules immunitaires ».
Quelles observations en pratique ? Ces cartes révèlent ainsi que :
- aux premiers stades du mélanome, les lésions précurseurs sont composées de types et de proportions de cellules similaires à celles de la peau normale, mais ces cellules avaient un schéma d’interaction radicalement différent, qui inclut des signes d’immunosuppression ;
- puis se produit une restructuration dans le microenvironnement tumoral qui semble favoriser le développement de la tumeur ;
- au début du mélanome, PD-L1 – une protéine contribue à la suppression de la réponse immunitaire et permet au cancer de se développer. La protéine n’apparaît pas exprimée dans les cellules tumorales elles-mêmes, mais est présente dans les cellules immunitaires adjacentes appelées cellules myéloïdes ;
- au fur et à mesure du développement de la tumeur, les cellules myéloïdes exprimant PD-L1 interagissent de plus en plus avec les cellules T au départ prêtes à tuer les cellules tumorales. Cette interaction entre les cellules immunitaires, plutôt qu’entre les cellules cancéreuses et les cellules immunitaires est analysé comme un mécanisme que le cancer utilise pour affaiblir le système immunitaire et pouvoir progresser de manière incontrôlée ;
- le système immunitaire est alors supprimé, ou inactivé, par lui-même, et non directement par le cancer.
Le rôle des immunothérapies est ainsi mieux compris, notamment celui des immunothérapies qui inhibent PD-L1 et son partenaire de liaison PD-1 et libèrent ainsi le système immunitaire contre la tumeur. Ces nouvelles observations contribuent à expliquer pourquoi ces immunothérapies ont révolutionné le traitement du mélanome avancé. Cependant, tous les patients atteints de mélanome n’y répondent pas, et ces thérapies ne s’avèrent pas, non plus, aussi efficaces dans le traitement d’autres cancers. Il reste donc beaucoup à comprendre et à apprendre afin d’améliorer les stratégies thérapeutiques pour les mélanomes mais également d’autres cancers.
La capacité à mieux décrypter ces environnements locaux qui impliquent de nombreuses interactions physiques entre les cellules tumorales, les cellules saines et les cellules immunitaires, permet maintenant de lier ces interactions cellulaires au comportement physiologique et, éventuellement, aux résultats cliniques du cancer.
En fin de compte, ces travaux apportent une nouvelle base de connaissances sur le mélanome qui va permettre le développement de traitements individualisés ciblés avec précision en fonction des caractéristiques de la tumeur mais aussi du micro-environnement tumoral, du patient.
Source: Cancer Discovery 11 April, 2022 DOI: 10.1158/2159-8290.CD-21-1357 The spatial landscape of progression and immunoediting in primary melanoma at single cell resolution
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Équipe de rédaction SantélogMai 20, 2022Équipe de rédaction Santélog