« Non, l'art n'est pas une addition d'objets péniblement réunis, Trouver l'expression propre de ton lieu (et certes, pour atteindre ce lieu, tu peux venir de mille endroits) voilà qui suffit. Se purifier jusqu'à donner le nécessaire, et rien d'autre que lui ; autrement dit, donner ce qu'on voit, ce qu’on vit, ce qui est maintenant, est l'existence, sans le moindre ajout, donc sans le moindre recours aux formes d'une expérience ou d'une existence anciennes : l'art est tout entier dans cette exigence.
(Dans cette optique, les poèmes de Goethe n'échappent pas toujours à la critique ; de tous les poètes allemands, c'est Hölderlin qui lui échappe le mieux).
Ce qui, croit-on, sépare le plus, voilà ce qui unit. Et ce qu'on ajoute dans l'espoir de rejoindre autrui, voilà ce qui cause la déperdition d'être et de forces, voilà ce qui sépare. » (177)
« l’art est, en lui-même, un comble d’expérience, il ne se rapporte pas à des éléments indépendants de lui. L’art n’est pas un transmetteur, ce n’est pas un réceptacle à parfums ; il ne va pas à la récolte. Le fruit véritable c’est lui-même. » (199)
« Laisser à toute chose sa dureté. Couper court, autant de fois qu'il le faudra, dès que commencent les ajouts, les émollients et les brillants. Mépriser ceux qui font la roue. Pas de membre inutile. Chaque fois qu'il le faudra, nous brûlerons et rejetterons ce qui, en nous, est fatigué, forcé, ennuagé, détourné de la nature ; tout ce qui flagorne le lecteur, toutes les captationes, fussent-elles au service du vrai. Toujours nous nous dirons : il vaut mille fois mieux être incompréhensible et ne pas servir au lecteur de l'incompris (les flatteries, les clins d'œil, les conventions sont incomprises, c'est-à-dire opaques à la lumière de l'explication). » (200)
« Je dois pêcher quand il y a du poisson – et non point quand tu m’en laisses le temps, quand je m’en laisse le temps, etc. » (241)
« Il me faut quatre, six ou huit heures pour écrire, chaque jour, une à quatre pages dans leur état définitif (à supposer que je parvienne à ce stade). Je dépasse rarement les deux pages, et les trois pages encore plus rarement. Voilà, certes, qui n’intéresse personne. Mais ce qui est remarquable dans cette affaire, c’est que presque toujours j’ai l’impression d’avoir rédigé dix ou vingt pages (et c’est avec étonnement que vérification faite, je reviens de mon illusion). Cependant, l’explication est simple : mon écriture m’a fait parcourir des espaces immenses. Ce qui subsiste, ce qui s’offre à la lecture, ce ne sont que les arêtes ou les sommets. Cependant j’ai cheminé par monts et par vaux, j’ai fait mille escalades, j’ai tout traversé, tout exploré du regard. » (258)
Ludwig Hohl, Notes ou de la réconciliation non-prématurée, traduit de l’allemand par Etienne Barilier, Bibliothèque l’Age d’homme, 1989.