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Tom le taciturne

Publié le 10 août 2008 par Perce-Neige
Je vais vous dire ce que je crois. Je crois que toutes les histoires, sans exception, méritent d’être prises au sérieux et doivent être écoutées avec plus d'attention que vous ne l'imaginez ! Et je ne parle pas, seulement, de celles dont les adultes se gargarisent et qui nourrissent leurs rêves d'horizons, que ceux-ci se déploient sur grand écran ou au décours des pages tumultueuses d'un roman. Non… Je ne parle pas, seulement, non plus, de celles que l’on se murmure à mi-chemin du sommeil, dans l’ombre de la lune, quand, à notre corps défendant, la nuit se peuple de couleurs inassouvies et de musiques exotiques ! Non… Je parle aussi de celles que les grandes personnes se plaisent à raconter aux enfants pour les faire taire, ou les faire rire, ou les faire se moquer d'eux-mêmes jusqu'à s'étourdir. Je vais vous dire ce que je crois... Je crois que chaque mot est une frontière que nous n'osons pas franchir.
« Savez-vous ce qu'il advint de Tom le taciturne ? » demanda Charles Antoine Parmentier en feuilletant sans trop s’y attarder en raison d’une visible lassitude les dernières pages de l'album qu’il finit par refermer en hochant la tête d’un air entendu. Mais sa question ne pouvait tomber plus à plat... Benjamin se vautrait toujours plus sur les coussins du divan en ricanant à qui mieux mieux tandis qu'Aymeric dansait d'un pied sur l'autre en cherchant surtout à attirer l'attention de sa mère. En d'autres circonstances, d’ailleurs, nul doute qu'il y serait immédiatement parvenu tant il déformait son visage, expérimentant ainsi de nouvelles grimaces dont il avait longuement étudié les effets devant la glace de la salle de bains. Or, à son grand étonnement, il avait beau se placer délibérément juste dans le champ de vision de Violaine Parmentier qui arpentait le salon de long en large, il lui fallait se rendre à l'évidence que ces mimiques, auxquelles un jury de collégiens aurait volontiers donné une note excellente, s’avéraient en l’occurrence, avec sa mère d’une parfaite inefficacité. Il faut dire, à sa décharge, qu'à dix ans on ne connaît rien à la vie. On ne sait pas ce que c'est que d'avoir Marion au téléphone une demi-heure à peine avant que vos invités ne débarquent… On ne sait pas ce que c'est que d'avoir à supporter sans broncher de pareilles inepties. Non, Aymeric ne savait pas. Comment pouvait-il savoir ce que c'est que d'avoir bientôt quarante ans et de commencer à être sérieusement fatiguée par les frasques et les élucubrations de sa sœur. Comment aurait-il pu savoir qu'un jour arrive où vous finissez réellement par avoir envie d'un peu de calme. Et que c'est précisément ce jour là, d'ailleurs, que tout bascule !
« Si je te dis, ma chérie, que ce Patrick n'est pas pour toi, ce n'est pas parce qu'il ne me convient pas, mais c'est parce que je sais qu'il n'est pas pour toi. Comprends moi. Je ne suis pas en train de te faire la morale, je suis juste en train de te prévenir… » disait celle qui s'attendait, d'une minute à l'autre, à ce que la sonnerie de la porte d'entrée l'oblige à interrompre le cours de sa démonstration.
« D'accord, d’accord... Imaginons que ce garçon au corps de rêve quitte sa femme. Je veux bien... Prenons cette option ! Le voilà qui débarque chez toi avec ses deux mômes, je suppose. Et là, tu fais quoi ? Vous vous entassez dans quarante mètres carrés ? »
Il faut croire qu'on ne réfléchit jamais à toutes les conséquences de nos actes. Et qu'on s'aventure parfois dans une direction, en toute bonne foi, sans s'imaginer l'impasse dans laquelle elle nous mène. Et il suffit alors d'une seule question pour ébranler vos convictions et remettre à plat toute vos certitudes. C'est ce que Charles Antoine Parmentier s'était dit en constatant, amusé, la mine soudain radieuse de Violaine qui s'était tournée vers lui en cherchant, visiblement, à partager un moment d'intense satisfaction.
« Savez-vous que le mieux serait, maintenant, de vous retirer dans votre chambre, les garçons ? » fit-il pour conclure en leur promettant à tous les deux, vaguement, une suite inédite à l'histoire de Tom le taciturne dont il confia à Benjamin le soin de conserver en lieu sûr l'album richement illustré. Il avait fallu encore arbitrer entre une nouvelle pitrerie, une demie poignée de gâteaux au fromage et le soulagement de les voir disparaître tous les deux dans l'escalier sans trop faire d'histoires. Puis Charles Antoine avait gagné la terrasse, laissant Violaine pousser l'avantage et se lancer dans un discours un peu plus intime dont il aurait eu quelque scrupules à être le témoin.
C'était l'une des premières belles soirées de la saison. Le vent presque printanier se chargeait de lilas, de roses, de jasmins. Le ciel, au-dessus de Montmorency, se déchirait d'or, de Parme, et de nuages aux couleurs subtiles. Se pouvait-il que cette beauté soit la même pour tout le monde ? Le ronronnement d'un moteur, dans la rue, le ramena dans un autre espace temps. Celui où Violaine surgit brusquement dans l'embrasure de la porte-fenêtre après avoir abandonné quelque part le combiné téléphonique. Et où un couple de merles s'encanaillait à quelques mètres de lui. Et où Aymeric se mit à brailler comme un malade. Et où la Toyota de Paul et de Lucille Harvey s'immobilisa derrière l'allée. Et où le ciel s'empourprait davantage. Savez-vous ce qu'il advint de Tom le taciturne
?

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