Ce troisième roman est aussi réussi que les précédents. Il ne fait aucun doute que cette auteure a bel et bien sa place sur la scène littéraire. Outre l’originalité de l’intrigue, Et mes jours seront comme tes nuits témoigne de la façon admirable dont l’écriture, pourtant à la troisième personne, réussit à nous placer au plus profond des émotions d’Hannah comme de celles de Juan.Les allers-retours entre présent et passé, comme les trajets entre le monde libre et la prison, définissent une série de cercles concentriques dont on craint que les victimes ne sortiront pas, tant il est vrai que le passage de l’extérieur à l’intérieur est tellement brutal… (p. 21)Que ce soit chez elle, dans le RER qui la conduit à la maison d’arrêt, ou dans l’exercice de son métier de flûtiste, Hannah ne peut s’empêcher de penser à tout ce qu’elle a perdu depuis l’enfance. Elle songe surtout à celui qu’elle aime plus que tout malgré ce qu’il a fait, et qu’elle va retrouver au bout du trajet. On revit les principales étapes de leur vie commune depuis leur rencontre à Tanger, ville lumière cernée par les ombres inquiétantes.Cette femme est forte. Elle est parvenue à avancer malgré les deuils. Elle puise son énergie dans la musique, comme Juan le fait dans la peinture, au grand regret de son père, avocat, dont on apprend qu’il voulait que son fils fasse du droit, j’ai obéi et je me suis noyé (p. 17).Son compagnon, Juan assume la situation avec courage et ne se plaint pas lorsqu’il la retrouve pour cette unique heure hebdomadaire de parloir parce qu’il ne veut rien trahir de lui-même, ne rien exprimer, par crainte de ne plus pouvoir s’arrêter. Se livrer, c’est mourir un peu (p. 16).Si je n’ai pas complètement déchiffré le sens du titre Et mes jours seront comme tes nuits, ni de la photographie de la couverture (pourtant très belle et évoquant pour moi le Paris de Robert Doisneau) j’ai par contre été très sensible à l’analyse comparative qui nous est proposée entre la musique et la peinture. Essentiellement tournée vers l’interprétation pour la première et vers la dissimulation pour la seconde : Le peintre est un menteur. Il réinvente la réalité, et derrière le mensonge, il y a encore le mensonge, c’est comme une seconde peau (p. 30).Hannah aurait-elle dû s’alarmer de la mise en garde de Nassim, le grand ami de Juan, qui poursuit : Tu verras, Juan est à moitié ange, à moitié démon. Comme moi ? Elle ne veut pas céder à ses voix intérieures et à la phobie de la malédiction. Plus tard elle se culpabilisera d’avoir été aveugle : La défaite vient de soi, de cette sensation d’impuissance. J’aurais dû comprendre.De multiples indices du drame à venir sont semés au fil des pages auxquels nous aussi nous serons plus ou moins vigilants. Hannah refuse de sacrifier ses sentiments. Elle est trop proche de Juan pour douter de la puissance de leur amour. Leurs histoires sont différentes, leurs souffrances ne sont pas les mêmes. Elle, elle a grandi dans l’ombre de disparus, lui, dans la quête vaine de chercher à effacer les traces des siens. Pourtant, elle sent en lui une familiarité, elle retrouve en lui cette vulnérabilité, cette béance dans le regard. Un effet troublant de miroir. Il la masque sous un voile d’intrépidité, d’audace et d’assurance, tandis qu’elle a l’impression d’être à nu (p. 99).Juan a vécu des moments terribles dans une famille détestable. On apprend qu’un tableau lui a décillé les yeux. On a, dans le chapitre suivant, la confirmation qu’il s’agit de Guernica dont la symbolique est parfaitement décrite, qu’on la connaisse déjà ou pas. On comprend que le jeune garçon, horrifié par ses propres parents, veuille suivre l’exemple de Picasso et il est bon de rappeler que la peinture n’est pas faite pour décorer les appartements, c’est un instrument de guerre offensive et défensive contre l’ennemi (p. 100).L’art ne suffit pas, malgré tout, à lutter contre les pires ennemis quand ceux-ci sont des monstres, l’Histoire le confirme régulièrement. Mais il demeure important de s’y référer, comme à une boussole pour maintenir le cap de la liberté.Quant à la possibilité d’inverser la trajectoire du destin en cultivant l’intuition sans sombrer dans la paranoia de la superstition on ne saura qu’à la toute fin du roman si ce pari peut être gagné.Née en 1974,Maëlle Guillaudest éditrice et a fondé le prix Monte Cristo en 2019 en partenariat avec la maison d’arrêt de Fleury Mérogis, ce qui lui permet entre autres de rendre tout à fait authentiques ses propos sur l’univers carcéral. Elle a déjà publié, chez le même éditeur, le très remarquéLucie ou la vocationetUne famille très française,Et mes jours seront comme tes nuits de Maëlle Guillaud, chez Héloïse d’Ormesson, en librairie le 03 février 2022Lu en format numérique de 192 pages
Ce troisième roman est aussi réussi que les précédents. Il ne fait aucun doute que cette auteure a bel et bien sa place sur la scène littéraire. Outre l’originalité de l’intrigue, Et mes jours seront comme tes nuits témoigne de la façon admirable dont l’écriture, pourtant à la troisième personne, réussit à nous placer au plus profond des émotions d’Hannah comme de celles de Juan.Les allers-retours entre présent et passé, comme les trajets entre le monde libre et la prison, définissent une série de cercles concentriques dont on craint que les victimes ne sortiront pas, tant il est vrai que le passage de l’extérieur à l’intérieur est tellement brutal… (p. 21)Que ce soit chez elle, dans le RER qui la conduit à la maison d’arrêt, ou dans l’exercice de son métier de flûtiste, Hannah ne peut s’empêcher de penser à tout ce qu’elle a perdu depuis l’enfance. Elle songe surtout à celui qu’elle aime plus que tout malgré ce qu’il a fait, et qu’elle va retrouver au bout du trajet. On revit les principales étapes de leur vie commune depuis leur rencontre à Tanger, ville lumière cernée par les ombres inquiétantes.Cette femme est forte. Elle est parvenue à avancer malgré les deuils. Elle puise son énergie dans la musique, comme Juan le fait dans la peinture, au grand regret de son père, avocat, dont on apprend qu’il voulait que son fils fasse du droit, j’ai obéi et je me suis noyé (p. 17).Son compagnon, Juan assume la situation avec courage et ne se plaint pas lorsqu’il la retrouve pour cette unique heure hebdomadaire de parloir parce qu’il ne veut rien trahir de lui-même, ne rien exprimer, par crainte de ne plus pouvoir s’arrêter. Se livrer, c’est mourir un peu (p. 16).Si je n’ai pas complètement déchiffré le sens du titre Et mes jours seront comme tes nuits, ni de la photographie de la couverture (pourtant très belle et évoquant pour moi le Paris de Robert Doisneau) j’ai par contre été très sensible à l’analyse comparative qui nous est proposée entre la musique et la peinture. Essentiellement tournée vers l’interprétation pour la première et vers la dissimulation pour la seconde : Le peintre est un menteur. Il réinvente la réalité, et derrière le mensonge, il y a encore le mensonge, c’est comme une seconde peau (p. 30).Hannah aurait-elle dû s’alarmer de la mise en garde de Nassim, le grand ami de Juan, qui poursuit : Tu verras, Juan est à moitié ange, à moitié démon. Comme moi ? Elle ne veut pas céder à ses voix intérieures et à la phobie de la malédiction. Plus tard elle se culpabilisera d’avoir été aveugle : La défaite vient de soi, de cette sensation d’impuissance. J’aurais dû comprendre.De multiples indices du drame à venir sont semés au fil des pages auxquels nous aussi nous serons plus ou moins vigilants. Hannah refuse de sacrifier ses sentiments. Elle est trop proche de Juan pour douter de la puissance de leur amour. Leurs histoires sont différentes, leurs souffrances ne sont pas les mêmes. Elle, elle a grandi dans l’ombre de disparus, lui, dans la quête vaine de chercher à effacer les traces des siens. Pourtant, elle sent en lui une familiarité, elle retrouve en lui cette vulnérabilité, cette béance dans le regard. Un effet troublant de miroir. Il la masque sous un voile d’intrépidité, d’audace et d’assurance, tandis qu’elle a l’impression d’être à nu (p. 99).Juan a vécu des moments terribles dans une famille détestable. On apprend qu’un tableau lui a décillé les yeux. On a, dans le chapitre suivant, la confirmation qu’il s’agit de Guernica dont la symbolique est parfaitement décrite, qu’on la connaisse déjà ou pas. On comprend que le jeune garçon, horrifié par ses propres parents, veuille suivre l’exemple de Picasso et il est bon de rappeler que la peinture n’est pas faite pour décorer les appartements, c’est un instrument de guerre offensive et défensive contre l’ennemi (p. 100).L’art ne suffit pas, malgré tout, à lutter contre les pires ennemis quand ceux-ci sont des monstres, l’Histoire le confirme régulièrement. Mais il demeure important de s’y référer, comme à une boussole pour maintenir le cap de la liberté.Quant à la possibilité d’inverser la trajectoire du destin en cultivant l’intuition sans sombrer dans la paranoia de la superstition on ne saura qu’à la toute fin du roman si ce pari peut être gagné.Née en 1974,Maëlle Guillaudest éditrice et a fondé le prix Monte Cristo en 2019 en partenariat avec la maison d’arrêt de Fleury Mérogis, ce qui lui permet entre autres de rendre tout à fait authentiques ses propos sur l’univers carcéral. Elle a déjà publié, chez le même éditeur, le très remarquéLucie ou la vocationetUne famille très française,Et mes jours seront comme tes nuits de Maëlle Guillaud, chez Héloïse d’Ormesson, en librairie le 03 février 2022Lu en format numérique de 192 pages