Je l'ai consommé, je l'ai étudié, j'en ai été gradué, y ait travaillé, fût primé au FFM (et au Portugal), en suis sorti, le consomme encore goulûment, mais on ne sort pas le cinéma de moi si facilement.
Je vous parles d'un film dont j'ai aimé la réalisation, l'histoire, le thème, le ton, la musique, la photographie, les interprètes, l'audace, le montage, bref, je vous parles d'un film dont j'ai aimé pas mal tous les choix.
Je vous parles France, 1773.
BEAUMARCHAIS, L'INSOLENT d'EDOUARD MOLINARO
Fabrice Luchini peut à la fois me repousser d'un film et à la fois m'y attirer comme une fourmi sur du miel. Edouard Molinaro, je ne le connaissais que de La Cage Aux Folles que je n'avais jamais vu. Ce film, qui avait été un énorme succès, en 1978, ne m'a jamais attiré car j'ai toujours senti, époque aidant, qu'on allait y rire sur des clichés contre les homosexuels qui m'auraient paru datés. Peut-être me trompais-je. Je ne sais pas, je ne l'ai toujours pas vu.
Les deux s'unissent pour cette adaptation d'une pièce de l'excellent Sacha Guitry couvrant une partie de la vie de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, horloger, écrivain, dramaturge, musicien et hommes d'affaires français et premier éditeur des oeuvres de l'unique Voltaire. Il est aussi à l'origine de la toute première loi protégeant les droits d'auteurs et fondateur de la société des auteurs. Il était si intéressant qu'il était aussi espion et marchand d'armes. Auteur du Mariage de Figaro, il est considéré comme un des annonciateurs de la Révolution Française. On le prend tout juste avant la création sur scène du Barbier de Séville, un autre chef d'oeuvre signé de sa main. Le parlement est aux trousses de ce fameux beau parleur et, le trouvant trop agile intellectuellement, cherche à le coffrer. On veut purger de la société française Beaumarchais. Une société que Beaumarchais adorait tant que sa qualité d'amuseur public qu'il arrivait, simplement par le verbe, à la mettre de son côté en quelques phrases bien punchées. C'est la grande qualité de ce film, le texte. Livré à merveille par l'insolent Beaumarchais, qui se défend seul contre ceux qui le veulent muet et loin de toutes influences possibles sur le peuple. Qui est sur le point de renverser la royauté.Dans le procès bidon qu'intente quelques nobles à la dignité gonflée, le peuple se range définitivement du côté de Beaumarchais. Si magnifiquement interprété par Fabrice Luchini que je peinerai le reste de ma vie de ne pas y voir Beaumarchais jouant dans d'autres films. Comme la Nouvelle Vague avait bien installé le processus, les éclairages du cinéma français seront presque continuellement naturels. Et le maquillage, malgré l'époque, assez rare.
Quand l'excellent Michel Serrault (en Louis XV) commence à piquer une colère face à la trop grande popularité de Beaumarchais, c'est aussi le tout aussi excellent Michel Piccoli qui tempère ses humeurs. Beaumarchais aime les mots, les Femmes et l'argent.
Une certaine France ne se supporte plus de n'entendre que Beaumarchais, on choisit alors d'en faire un agent secret sous un faux nom. Prenant tous les risques, là où le gouvernement n'en prend aucun. C'est un intellectuel qui dérange. Plus ça change, plus c'est pareil, me direz-vous. Murray Head, Alain Chabat, Sandrine Kimberlain, Pierre Ariditi, Jean Claude Brialy, Jean Yanne, y tiennent des rôles secondaires qui font sourire. Claire Nebout, androgyne, y est aussi très intéressante. L'intelligence de Beaumarchais, au service de la plume de l'intelligent Sacha Guitry, dont la pièce ne sera jamais jouée (parce que les gens trop intelligents sont souvent minoritaires), est exposée dans un complexe personnage au coeur et à l'aube d'un des plus grands tourments de l'histoire de la France.Beaumarchais était muse et mêche. Jean-Claude Brisville et Édouard Molinaro ont adapté Guitry dans une film que Beaumarchais aurait adoré aussi. Luchini y est si convaincant qu'il en devient un choix de casting tout à fait inspiré.
Comme Molinaro a principalement oeuvré dans la comédie, ce type de rythme ne se perd pas ici, alors qu'on s'amuse beaucoup.
Pour reprendre une ligne du film: "J'aurais donné une fortune pour pouvoir écrire cela".
Oui.
Beaumarchais ne sera jamais reconnu pour son oeuvre car sa vie l'amuse plus que quoi que ce soit disait Voltaire. On le voit dans ce film autant dans la gloire que dans la déchéance. Il est drôle, inspirant et touchant.
Il ne voulait qu'une seule déclaration, au final, celle du droit au bonheur. Il y est presqu'arrivé.