Dédicace

Publié le 04 mai 2022 par Adtraviata

Toi que je n’ai pu sauver
Entends-moi.
Tu dois comprendre ces mots simples, d’autres me feraient honte.
Je te jure, mon langage n’est pas ensorceleur.
Je te parle au moyen du silence,
Tel un nuage, tel un arbre.

Ce qui me fortifiait était pour toi mortel.
Tu confondais l’adieu à une époque et le commencement d’une époque nouvelle

Le langage de la haine et la beauté lyrique,
La force aveugle et la forme accomplie.

Voici la vallée polonaise aux fleuves peu profonds. Et un immense pont
S’avançant dans un brouillard blanc. Voici une ville brisée,
Et le vent sur ta tombe jette des cris d’oiseaux
Pendant que je te parle.

Que signifie une poésie qui ne sauve
ni peuple ni nation ?
Une complicité avec les mensonges officiels,
La chanson d’un pochard dont la gorge sera tranchée demain,
Lectures pour jeunes étudiantes.
J’ai désiré sans le savoir une bonne poésie,
Et découvert, tardivement, son but salvateur ;
Cela, et cela seul, peut sauver les valeurs.

Ils versaient sur les tombes du millet ou des grains de pavot
Pour nourrir les morts qui reviendraient en oiseaux.
Je dépose ici ce livre pour toi, qui vécus autrefois,
Pour que tu ne nous visites plus.

Czesław MILOSZ,  Enfant d’Europe, traduit du polonais par Monique Tschui et Jil Silberstein, L’Âge d’Homme, 1980

Voilà le poème que j’ai choisi pour ce rendez-vous poétique avec Marilyne. Czeslaw Milosz (1911–2004) est un poète polonais, qui a participé à la résistance contre les nazis, a fui le régime de Varsovie au début des années cinquante. Le thème de l’exil et du déracinement est très présent dans son oeuvre. Il était très proche du mouvement Solidarnosc mais il n’a pu rentrer vraiment en Pologne qu’en 1993. Il a reçu le prix Nobel en 1980. Il était également le traducteur de nombreux poètes en polonais.

J’ai choisi ce poète un peu en lien avec mes dernières lectures de Diane Meur et Henri Roanne-Rosenblatt, et du coup je vous propose cette peinture de Marc Chagall, Homme-coq au-dessus de Vitebsk (1925). Ca n’a rien à voir avec la poésie mais c’est tout un contexte de lectures qui m’y ont fait penser.

Aujourd’hui, Marilyne vous propose deux poèmes du Mexicain Octavio Paz.