Jusqu’au sang, avec douleur.
Un froid désir vite lasse
Les flots bouillonnants du cœur.
A d’autres laisse répandre
La coupe au festin en joie.
Mon amie, tu dois comprendre
Qu’on ne vit tous qu’une fois.
Dans l’humidité des nuits,
Calmement regarde comme
La lune en corbeau jauni
Tournoie au-dessus des hommes.
Viens, embrasse-moi encore !
Pourrir est aussi mon lot.
Il a dû flairer ma mort,
Celui qui plane là-haut.
Si les forces se dénouent,
Crevons puisqu’il faut qu’on crève.
Mais je voudrais jusqu’au bout
Mordre et embrasser tes lèvres.
Pour que dans le grand sommeil,
Sans honte ni désarroi,
Sous les merisiers m’appelle
Ce doux cri : « Je suis à toi ».
Et que la lumière aussi
Dans la coupe ne se noie…
Bois et chante mon amie,
On ne vit tous qu’une fois !
1925
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Sergueï Essénine (1895-1925) – L’homme noir (Circé, 2005) – Traduit du russe par Henri Abril.