Juan Vattuone (au centre), au CC Torquato Tasso, à San Telmo, en août 2010
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Triste
retour de ce premier vrai week-end printanier : la lecture des
journaux m’apprend ce matin la mort de l’auteur-compositeur et
interprète Juan Vattuone. Un type d’une chaleur humaine assez
rare, un artiste engagé (péroniste à fond les manettes) qui ne
déviait pas d’un iota de son combat pour l’authentique culture
populaire et contre la néo-colonisation de son pays par l’industrie
culturelle états-unienne, un homme que j’ai eu la chance de
connaître et pour qui j’avais une profonde affection.
Il y a plusieurs années, sa santé s’était gravement détériorée. Il avait dû être amputé d’une jambe et il était dialysé. C’est la personne qui le soignait au quotidien qui l’a découvert sans vie hier dans la matinée, chez lui, un appartement qui lui avait été aménagé pour tenir compte de son handicap.
A la fin de l’année dernière, il était remonté sur scène, avec courage, en chaise roulante, grâce à l’aide de plusieurs amis musiciens et il avait présenté le nouveau disque qu’il préparait et qu’il n’aura pas vu sortir. A cette occasion, il avait donné une interview à Página/12 qui aimait son sens de la contestation, sa résistance obstinée et ses engagements politiques et idéologiques passionnés.
Né
à Palermo, il a grandi dans le quartier plus populaire de Villa
Crespo, celui du poète-boxeur découvert par Carlos Gardel, Celedonio Flores, et du pianiste et
compositeur militant communiste et coopérateur, Osvaldo Pugliese.
Sa vie n’aura pas été un long
fleuve tranquille. Il a connu diverses ruptures amoureuses très
douloureuses pour un homme hyper-sensible comme il était.
Politiquement et artistiquement, il a beaucoup souffert de la
répression pratiquée, en particulier dans le domaine de la culture,
par les différentes dictatures militaires que l’Argentine avait
subies depuis sa naissance. Il était à fond au côté des Mères de
la Place de Mai, l’association présidée par la très contestée
et fort peu tolérante Hebe de Bonafini. De leur slogan vindicatif,
il avait fait une chanson qui restera, Ni olvido ni perdón
(on n’oublie rien, on ne fait grâce à personne). Il n’a jamais
roulé sur l’or et pour autant il n’a jamais cherché à
améliorer sa situation personnelle en cachetonnant, à l’inverse
d’un bon nombre de ses confrères. Ses ennuis de santé ces
dernières années et la crise sanitaire depuis 2020 l’avaient
plongé dans des difficultés certaines mais, comme il le disait
lui-même : « Je suis Juan Vattuone et je n’ai jamais
baissé les bras ». Courageux, il l’était. Et combien !
Tout un secteur du tango qu’on appellera ici classique, pour ne pas
dire figé dans une tradition muséifiée, lui tournait le dos mais
Rubén Juárez, le chanteur de Córdoba, le bandonéoniste et le
compositeur, lui-même lancé par Aníbal Troilo, l’avait pris en
amitié et il l’avait soutenu en l’invitant dans ses propres
tours de chant. Ce qui lui a permis de se faire connaître du public
mélomane. Le grand public, quant à lui, ne le connaissait pas.
Et
pourtant quel talent ! Une voix rugueuse, des textes forts (1),
parfois caustiques, parfois combatifs, parfois tendres, tantôt
chantés, tantôt éructés, toujours écrits en 100% lunfardo. Une forte présence en scène. Un talent
d’improvisation. Sur scène, il se lançait entre chaque chanson
dans de longs monologues, souvent drôles, la plupart du temps
caustiques et impertinents. Il s’accompagnait lui-même à la
guitare quand il se produisait seul. Dans la vie, c’était un
chaleureux compagnon.
Une des pages Spectacles de La Nación
de ce jour
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Ce matin, si j’ai appris la nouvelle en lisant Página/12 comme on peut s’en douter, je n’ai pas été médiocrement surprise de trouver en une des pages culturelles de La Nación une nécrologie qui reprend les éléments biographiques communiquées par ses filles à l’agence Télam.
Si vous n’aviez pas vu Juan Vattuone sur scène, vous pouvez encore le découvrir à travers l’hommage que lui rend l’équipe de Fractura Expuesta, l’émission de radio-télé en ligne du tango nuevo et du tango underground. C’était un ami de la maison !
© Denise Anne Clavilier www.barrio-de-tango.blogspot.com
Pour
aller plus loin :
lire l’article de La Naciónlire et visionner l’hommage de Fractura Expuesta
(1) En 2010, j’avais inclus au dernier moment l’une de ses chansons dans mon anthologie, Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins (Éditions du Jasmin), après notre rencontre à Buenos Aires, grâce à des amis communs.