Les éditions Pow Pow délivrent le Québec

Par Hectorvadair @hectorvadair
Parus dans le fanzine Scarce #91 daté septembre 2020, l'édito et les chroniques ci-dessous agrémentaient un petit dossier sur les éditions québecoises Pow Pow, contenant une interview de leur boss Luc Bossé. L'éditeur n'étant pas encore vraiment très connu en France, malgré l'excellent diptyque (entre autre) Les Mystères de Hobtown (T1 et t2), par Kris Bertin et Alexander Forbes - thriller bien zarbi que je n'ai malheureusement pas encore chroniqué (ça viendra) - celles-ci méritaient d'être lues par le plus grand nombre. Seules les chroniques des autres titres vous sont proposées ici, eut égard à l'excellent travail du fanzine Scarce, que vous vous devez de rechercher et lire, tout comme les livres des éditions Pow Pow.

"2016 – 2020 : aura t-il fallu quatre ans aux éditions Pow Pow pour accrocher vraiment le lectorat français ? Des visites à Angoulême et à LyonBD l’année dernière ont suffi pour que leur catalogue alternatif aguicheur fasse, sinon sensation, son trou parmi le reste de la production francophone. Luc Bossé, auteur publiant depuis 2008 un fanzine sur son blog « BDdecul » (son prénom inversé), a su trouver le ton juste avec un humour mêlantstyle indépendant et bienveillance. Son trait minimaliste mais souple et agréable, faisant le reste.

Regroupant au départ quelques histoires web dans des volumes intitulés «Annexe», il publie en 2009 son premier album : « Yves fidèle à lui-même », et créé par la même occasion la structure Pow Pow, pensant par ce biais pouvoir diffuser ses propres productions plus largement. Rapidement cependant, la structure s’agrandit en accueillant un tas d’autres auteurs, et possède désormais, cette année, plus d’une quarantaine de titres. 2015 voit la parution de son deuxième One shot : « Comment faire de l'argent » et 2016 la distribution du catalogue en France par Les Belles Lettres Diffusion, même si certains sites comme Du9 l’avait déjà bien remarqué depuis 2012 Une rencontre fortuite et bienvenue sur leur stand à la bourse du travail de Lyon en juin dernier lors du festival BD puis une autre, volontaire cette fois-ci avec Luc à Angoulême, lors du festival fin janvier, offre l’opportunité de cet entretien et de l’analyse de quelques-uns des titres du catalogue. 
De beaux petits bouquins au dos carré collé, avec jaquette, au papier épais, et à la présentation impeccable. Et surtout, que du bon dedans. La relève d’une scène québecoise, que l’on connaissait surtout jusqu’à il y a encore peu, par le biais de deux ou trois auteurs, dont Michel Rabagliati et son fameux « Paul », Julie Delporte, ou encore Jimmy Beaulieu, mais davantage aussi depuis 2014, grâce à la revue Planches et l’autre éditeur indépendant Colosse."
(From Scarce #91, F. Guigue)

Titan par François Vigneault

Septembre 2017 pour la France

(22€) - ISBN 978-2924049457


Récit de science-fiction indépendant dans la forme mais exigeant dans le propos, Titan doit être un des bijoux de l'éditeur Pow Pow. Ne passez pas à coté.

2192 : Station Homestead, Titan. L'admin João Da Silva est mandaté pour une inspection de la colonie minière qui n'est plus rentable. Pour cette mission, il va devoir cependant jouer serré et faire face aux ouvriers géants les Titans, génétiquement modifiés afin de pouvoir travailler dans les dures conditions du satellite, à couteaux tirés avec l'administration. Seule aide réelle : Phoebe, une Titan ex championne de boxe, dont il va tomber amoureux. Cela sera t-il cependant suffisant pour éviter le conflit interplanétaire qui sourde depuis longtemps entre Terrans et Titans ? D'autant plus que son arrivée est sans doute anticipée et risque de s'avérer être un déclencheur...

Titan, avant d'être publié en langue française a vécu une édition anglaise chez Study Group comics sous Forme de 5 comics entre juin 2015 et juin 2017. François Vigneault est un jeune auteur canadien dont la bibliographie est essentiellement constituée de ce superbe récit. Il est aussi actif sur certaines traductions de comics et a participé à l'anthologie Cayrel Rings (3 numéros en Août 2019). Son dessin, ici proposé dans une bichromie magenta et noir, très agréable, participant à apporter une ambiance étrange, est assez typique du style fanzine, avec un trait ondulant, dessinant des personnages aux formes assez caricaturales. L'encrage, que l'on pourrait imaginé réalisé au pinceau, dessinant des courbes épaisses et libres, est en fait sûrement réalisé avec l'outil "feutre" numérique. Les phylactères et leur petites queues telles des flagelles, sont remplies des couleurs, noire, blanche ou magenta, selon les fonds sur lesquelles elles se trouvent. Un aspect graphique et de fluidité narrative qui fait pour 80% du charme de ce titre, lorsqu'on le feuillette rapidement. Le scénario de Titan est ceci dit très réussi, proposant une histoire que l'on pourra juger avoir été déjà un peu vue ailleurs, par exemple dans Storm Dogs, Bitch Planet, voire Blink peut être aussi, mais la force et le talent avec lesquels François Vigneault insère une dimension humaine dans la relation amoureuse qui unit João et Phoebe ainsi que cette problématique sociale forte entre les castes en présence donne tour le sel de son roman. Le fait qu'il y ajoute une dimension très personnelle, avec les passions cumulés de la boxe et de l'écoute/collection de vinyles pour Phoebe, cette dernière partagée avec João, les exacerbe et amène une chaleur inattendue et peu courante dans ce genre de récit SF. Le sexe s'invite au milieu de la violence, et l'amour des corps se mêle à celui de l'esprit. Les deux cent pages se lisent avec avidité et grand plaisir. Un must de BD alternative, rien que ça, que l'on rangera aux côtés des plus grands. 

Vil et misérable

Par Samuel Cantin

(18€) - ISBN : 978-2924049099

Un comics totalement déjanté paru originellement en 2013, faisant suite à Phobie des moments seuls, journal spatial développé par Samuel Cantin sur son blog en 2010 avant d'être repéré et publié chez Pow Pow.

Sous-titré "une histoire lamentable de Lucien Vil", il s'agit effectivement du quotidien de Lucien, trentenaire célibataire travaillant comme "libraire" dans une magasin de voitures d'occasion. Ce dernier est en effet responsable d'un petit coin spécifique au sein de l'entrepôt, où il s'occupe de la vente de livres d'occasion. Un métier qu'il prend très au sérieux, grâce à un amour du livre véritable et une culture littéraire exacerbée, même s'il est considéré comme un demeuré par ses collègues, pas très malins pour autant. Cependant, ce jour d'Halloween, son chef, déguisé, comme l'ensemble du personnel de cette petite entreprise, quasi familiale, va lui mettre dans les pattes un nouveau jeune assistant, étudiant en librairie à peine diplômé, pour un projet fou : augmenter le fonds de livres grâce à un stock volé acheté à vil prix. L'idée est déjà bizarre, mais lorsque Daniel comprend ldés le lendemain que le déguisement de Lucien n'en est pas un et qu'il est en réalité un vrai démon, (et que tout le monde s’en fout) c'est le summum, l'ouverture des portes de la fête du slip.

Samuel Cantin dénote par son dessin, constitué de traits fins et de contours plutôt minimalistes, rappelant un peu celui de Rupert et Mulot, quoi qu'un peu plus axé "strips" dans l'esprit et le principe d'une chute à chaque page, même s'il s'autorise un rythme humoristique boosté à 400%, permettant une tension de l'attention et des zigomatiques quasi constante. Une sorte de mix entre notre Edika national et la culture de l'équipe de l'Association, Killofer en tête. Car la provocation est là, bien présente, ne demandant aucune permission pour surgir, telle la flamme géante de la queue en rut de Lucien, dans une scène scato digne des Crumb les plus osés. Et que dire de la tchatche pas commune de nos cousins québécois, complètement exacerbée ici, ajoutant évidemment beaucoup au rire. Le pire dans toute cette profusion de grossièretés et de rire bon enfant, c’est que Lucien et l’auteur arrivent à placer une quantité de références culturelles non négligeables au passage. Déroulant des situations improbables, des dialogues percutants, des personnages attachants et tellement fous que crédibles...comme le psy de Lucien encore plus taré que lui, Vil et misérable est un bouquin au top, absolument génial et immanquable, parce que So cute, ou trop bath, bref, « Tabarnak, grouillez vous à aller le dégoter ! »


Long cheveux roux
par Meags Fitzgerald

(18€) - ISBN : 978-2-924049-44-0

Un petit roman graphique autobiographique habité, dans le fonds et la forme, typique de ce que peuvent nous apporter les éditions Pow Pow.

Meags Fitzgerald évoque son enfance et adolescence et sa difficile construction identitaire en tant qu'individu. Imaginant qu'elle doit porter des cheveux roux afin de s'affirmer et faire reconnaître la différence (sexuelle entre autre) qu'elle ressent au fond d'elle, elle en profite pour évoquer quelques références culturelles diverses attachées au rejet de l'autre au fil des siècles. Sorcières, vampires, puis punk.


Parler d'homosexualité féminine n'est plus chose inédite, et on remerciera les pionnières, pour avoir défriché le terrain dès les années soixante dix, depuis les milieux underground comics américains jusqu'aux publications de Ah Nana ! et L'Écho des savane, en France, et avant d'autres canadiens, telle Julie Doucet, révélée chez nous par l'Association en 1996 avec Ciboire de Criss. Après un premier roman graphique récompensé : PhotoBooth, paru en 2014 chez Conundrum Press, (celui a paru un an plus tard en anglais chez le même éditeur), consacré aux photomatons et la préservation de leur apport socio culturel, c'est à un parcours "moderne" assez courant finalement auquel l’autrice nous convie dans ce titre. Elle sait cependant le magnifier grâce à une ambiance et à un ton plaisant, ainsi qu'un dessin aux crayons gras, rehaussé d'une bichromie orangée et vert pale peu courants, réalisant une grande partie du charme de ce deuxième bouquin. Là encore, la maquette au papier épais et aux rabats sur la couverture sont particulièrement adaptés. Une œuvre étonnante. 

Nunavik par Michel Hellman
(18 €) - ISBN : 978-2924049112

En lieu et place du second projet MileEnd2, du nom du quartier artistique de Montreal où il habite, Michel Hellman décide de partir pour les régions difficilement accessibles du grand nord du Québec. Un récit épique et déniaisant.

Michel, autocaricaturé dans un style qui rappellera notre Trondheim national, tourne chez lui essayant de trouver des idées pour la suite qu'il a promis à Luc, boss de Pow Pow. Mais entre les pleurs de son bébé, arrivé depuis Mile End t1, et le quartier se gentrifiant, l'inspiration est en berne. Il va persuader sa blonde que l'appel du grand nord ne doit pas être contraint. Embarquant dans un avion à hélices pour la première fois, il débarque à Kujuuaqq, centre administratif du Nunavik, et sorte de mégalopole.. De là, il va se déplacer de villages en villages, en avion, seul moyen de transport, et découvrir cette culture inuit en train de disparaitre. Rencontrant des gens biens, des chasseurs peu intéressés par cette culture, et réalisant au final que la vie sévère la bas est bien difficile et solitaire, il n'aura que peu de scrupules à quitter, presque heureux de retrouver la vie " de bohème" un peu folle, en comparaison, du MileEnd.

L’auteur avait déjà consacré un livre en 2011 chez Pow Pow et devait produire une suite. Il se passionne cela dit aussi pour la culture Inuit, produisant Iceberg en 2010, puis Petit guide du plan nord en 2013. Deux ouvrages jouant sur l'esthétique et l'engagement écologique. Le virus est pris et c'est ce qui le persuade à opérer ce trip découverte. Même si pas tout à fait un carnet de voyage tel qu'on l'entend habituellement, avec croquis et aquarelles prise sur le vif, cette histoire vécue témoigne efficacement de la réalité de ces communautés perdues dans des étendues quasi désertiques, où s'étaient installés, il y a bien longtemps, quelques hommes, dont certains vestiges préhistoriques demeurent, pour qui sait les voir... Le style griffonné simple mais efficace de Michel Hellman, relevé de quelques gris clairs faisant office de couleur, se conjugue avec un humour bon enfant bien vu, donnant tout son charme à ce récit où l'auteur ne quitte jamais la peau d'un gars paumé dans un milieu hostile. Beaucoup de réflexions ou des témoignages souvent poignants le ponctuent, mais surtout des questionnements. On n'oubliera cependant pas d'accompagner cette bande-dessinée très agréable et instructive de la lecture des précédents ouvrages de l'auteur sur le sujet.

Yves fidèle a lui-même par Alexandre Simard et Luc Bossé.
(24,95 €) - ISBN : 978-2924049105

Comédie sentimentale à l’humour typiquement québécois, et suite à Yves le roi de la cruise , ce deuxième tome met le smile. Ne manquez pas cet anxiolytique !

Yves est un jeune gars d'une trentaine d'années plutôt beau gosse, qui se fait draguer assez souvent par de belles demoiselles. Lui vit plutôt pépère avec sa blonde dans un nouvel appart qu'ils sont en train de mettre à leur goût , ce qu'ont tendance à lui reprocher ces filles ou des copains célibataires séparés aimant la fête, comme Michel. Yves virevolte, pas bien décidé entre le chemin de la liberté et celui qui l'attend comme papa, puisque c'est comme ont dit...dans les tuyaux de Danielle, sa chérie. Pas facile lorsque les opportunités se font quotidiennes et de manière aussi charmantes...

Luc Bossé porte bien son nom puisque c'est le boss des éditions Pow Pow, créées en 2010. Un premier tome des aventures de Yves... avait alors paru, en collaboration avec son pote Alexandre Simard. Après un deuxième bouquin : Comment faire de l'argent , réalisé cette fois seul, il applique la règle du "comment fonder une famille" et devient papa de la petite Maxime en 2017. Un projet en appelant un autre, cela déclenche la création du retour du personnage d' Yves, dragueur malgré lui, aux côtés de son acolyte, que l'on ne connaitra uniquement dans le milieu BD que pour ces deux livres. Il y a dans ce Yves un peu de la nonchalance et du charme de BD éditées par la comédie illustrée ou des bandes d'un certains Guy Delisles chez l'Association. De l'un l'aspect indépendant et petite ligne clair moderne et poétique où l'on sait que l'on ne trouvera, bien que pas avare d'humour, aucune grossièreté ou malfaisance... De l'autre, un dessin et des personnage sobrement évoqués à l'aide d'un trait souple mais façon strip, avec un minimum de décors. Un trait et un ton qui pourront aussi rappeler le genre fanzine d'un certain Benoît Barale (PLG). Si vous voulez vous sentir un peu citoyen du Québec, et voir ce que ça fait de cruiser dans les rues de la belle province, avec les bonnes réparties d'usage, ce bouquin frais et joyeux est fait pour vous. Antistress assuré. 

 FG

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