Aliénation et identité : comment le marketing peut se retourner contre vous

Publié le 27 avril 2022 par Vincentpaes
Des rasoirs roses pour les femmes. Des bleus pour les hommes. Des produits capillaires qui, d’après les étiquettes, ont été spécialement conçus pour les femmes noires. De gros flacons de lotion vantant les mérites de « soins de la peau pour hommes ». Vous avez probablement vu de nombreux produits ciblés de ce type en grande surface. Mais les achetez-vous ? Ou vous en détournez-vous, même si vous faites partie de l’un des groupes visés par ces produits ? Avec mes collègues de l’ESADE Business School et de la Harvard Business School, nous avons mené ensemble des études en laboratoire et sur le terrain pour examiner les stratégies fondées sur l’identité et déterminer la façon dont ces dernières affectent les consommateurs. Leurs découvertes pourraient surprendre les responsables marketing de certains de ces produits.

À première vue, si vous tentez de commercialiser un produit auprès des femmes, il peut sembler logique de l’étiqueter comme étant « pour femmes » et d’utiliser une couleur conforme aux stéréotypes féminins, comme le rose ou le violet. Mais nous avons démontré que de telles stratégies sont en fait plus susceptibles de rebuter les femmes, tout comme les autres groupes ciblés de la sorte.

Les deux premières études citées dans notre article scientifique analysent ce qui se passe lorsque l’on présente aux consommateurs deux produits : une calculatrice verte et une calculatrice violette. Pour certaines femmes de l’étude, la calculatrice violette était étiquetée comme étant « pour femmes », invoquant ainsi le stéréotype selon lequel les femmes aimeraient le violet. Pour certains hommes, la calculatrice verte était étiquetée comme étant « pour hommes ».

Même si, au départ, les femmes ont été plus nombreuses à préférer la calculatrice violette sans étiquette d’identification, elles ont été moins nombreuses à la choisir en présence de l’étiquette d’identification. L’étiquette a détourné des consommateurs ciblés, qui auraient sans elle peut-être acheté le produit.

Des études ultérieures ont révélé que l’effet était le plus fort chez les personnes qui ont le sentiment que les groupes auxquels ils appartiennent sont marginalisés et pour celles qui ont le sentiment que les groupes auxquels ils appartiennent sont ciblés au moyen de stéréotypes, comme c’est le cas avec la couleur violette dite « féminine ».

Une autre étude, menée lors de l’élection présidentielle américaine de 2016, a révélé que les femmes rejetaient les discours de campagne suggérant qu’elles devraient voter pour Hillary Clinton sous prétexte qu’elle est une femme.
Les spécialistes du marketing devraient tout particulièrement éviter les stratégies fondées sur une identité unique ou sur un stéréotype et ce, même si ce stéréotype n’est pas négatif. Ils risqueraient de rebuter les personnes qu’ils tentent de séduire.


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Nous émettons l’hypothèse selon laquelle les stratégies fondées sur l’identité sont plus efficaces 1) lorsqu’elles incluent des identités multiples et 2) lorsqu’elles reflètent l’utilisation ou la valeur unique d’un produit, que lorsqu’elles ciblent une identité unique.

Afin de vérifier cette première idée, nous avons présenté à des consommateurs asiatiques différentes bouteilles d’huile de cuisson aromatisée au gingembre et à l’ail. L’une des bouteilles ne présentait aucune stratégie identitaire, une autre portait l’étiquette « pour les Asiatiques », et une autre l’étiquette « pour les Asiatiques et les amateurs de bonne cuisine ». Les personnes qui ont vu l’étiquette « pour les Asiatiques » se sont montrées nettement moins intéressées par le produit, tandis que celles qui ont vu l’étiquette à identités multiples étaient à peu près aussi intéressées que celles qui n’ont vu aucune étiquette. Ces groupes étaient également plus susceptibles de se sentir accueillis et en confiance dans le magasin en question.

Le fait d’invoquer des identités multiples permet aux consommateurs de ne pas se sentir pointés du doigt en raison de leur origine ethnique, de leur genre ou de tout autre marqueur d’identité, et correspond davantage à notre réalité sociale et à la vision que nous avons de nous-mêmes. Nous appartenons et nous nous identifions à une multitude d’identités et de groupes sociaux, et les stratégies ciblant une identité unique ne tiennent pas compte de cette réalité.

Dans notre première étude nous avons testé les stratégies identitaires fondées sur des besoins, utilisées lorsqu’un produit répond spécifiquement aux besoins d’un certain groupe. Ils ont constaté que ces stratégies, par exemple un shampoing étiqueté « sans sulfate » spécialement conçu pour les femmes noires, pour qui cette formulation est particulièrement bénéfique, n’ont pas aliéné les clientes noires, mais les ont au contraire incitées à acheter le produit. Le marketing reflétait précisément l’expérience des clientes, qui ont pu constater que l’étiquette était adaptée à un besoin spécifique et non à un stéréotype.

Les responsables marketing devraient garder ces éléments en tête lorsqu’ils décident de la manière dont ils vont commercialiser un produit auprès d’un groupe de consommateurs en particulier. Le plus important est de connaître son client. On le répète si souvent dans le monde des affaires qu’il est facile de ne pas en tenir compte, mais connaître le client que l’on cible, le connaître vraiment, c’est aussi savoir laisser de côté une stratégie identitaire lorsqu’elle n’est pas nécessaire ou lorsqu’elle rebute les clients. 

Si vous l’estimez nécessaire, efforcez-vous de mettre en avant des identités multiples ou fondez votre stratégie sur un besoin spécifique et pratique : les consommateurs verront alors plus facilement ce que vous essayez de faire et estimeront que votre produit correspond à leurs besoins et à la façon dont ils se perçoivent eux-mêmes. 

Ne réduisez pas votre produit, ou votre consommateur, à une identité unique et stéréotypée.
 

A propos de l'auteure : Tami Kim est professeure à la Darden School of Business. Elle a coécrit « When Identity-Based Appeals Alienate Consumers  » avec Kate Barasz de l’ESADE Business School, et Leslie John et Michael I. Norton, tous deux de la Harvard Business School.