« Invisibles cordées » de Gaspard Hons, pour un « poème enfoui dans le poème » !
« Entrant dans l’image
Qui n’existe pas — ton poème
se rapproche de toi… » (p. 20)
La rare qualité de ces poèmes tient d’abord dans le refus de toute séduction, l’auteur n’a pas le souci de charmer, à peine d’être entendu, il place ses mots au plus près de sa conscience d’être, sans produire aucun effet plaisant. Sous un phrasé âpre se cache le constat d’une réalité à cru, émis par quelqu’un qui prend l’existence au sérieux. Il faut y revenir pour apercevoir et puis percevoir le paysage proposé, la table mise, la « contraction passionnée ».
La brièveté des mots roc et soc
Rend circonspect Qui frappe
Le rocher Qui laboure le champ
À toi de grimper sur l’échelle sonore
De guetter le cri des organes troués (p. 50)
Alors qu’ils ont pu surgir d’un bloc sous l’encre du poète, de tels pavés se laissent bien peu tourner autour. Les images empruntent à l’organique, à la faune, à la physique, au plus abstrait comme au plus trivial, dans une économie absolue, sans le moindre accroc ni barbille.
Mouette frileuse sur l’échelle
A contre-courant le fleuve
Te prend par la main — nulle
conclusion hâtive
Le monde se détache — nuage
Largué en plein ciel — te voilà
Où tu ne seras jamais que Oiseau
Sans ailes
Planant au gré de la circonférence
De choses apprivoisées (p. 48)
Dans un entretien qu’il donnait à Jean-Luc Coatalem pour la revue Foldaan (en 1987), Gaspard Hons déclarait : « Je reste impuissant devant tout : devant la saisie de la substance des choses, devant la simple communication ; je ne suis encore nulle part, je suis toujours dans la marge, marginal et libertaire. Frappé de cécité et d’impuissance, je m’achemine – je voudrais m’acheminer – vers ce quelque chose que l’on pourrait nommer après tout, le poème. Le poème enfoui dans le poème : pur, glacial, absolu, concis, ramassé, chant ou prière ». Et pour lui, reprenant Heidegger, « les poètes doivent dire l’essence de la poésie ».
Gaspard Hons s’est tenu à cette ambition comme il s’est tenu à l’intérieur de lui-même, à écouter l’écho du monde depuis sa lucarne assurée, c’est ici, avec ce recueil, une restitution ou une empreinte qu’il nous propose, empreinte qui ne va pas sans ce regard volontaire, puissant, regard d’un poète reconnu, respecté, qui laisse une œuvre forte et rugueuse.
Qui frôle les limites ?
Le soleil aussi glouton qu’une sangsue
Moteur subtil
Épargnant la consommation de
Diesel — ou la raisonnable
S’appropriant les vertus de la nuit
Dans le défouloir du dormeur
— Où nous nous parlions —
Les réalités se ramassent
En plein jour de la nuit (p. 36)
Jean-Claude Leroy
Gaspard Hons, Invisibles cordées, éditions Rougerie, 64 p., 2021. 12 €