Luc Roger (LR) Cyrille Dubois, je viens de lire vos commentaires sur votre double première de ce samedi 23 avril, votre prise de rôle d'Ernesto dans le Don Pasquale de Gaetano Donizetti et vos débuts au Wiener Staatsoper. Je vous cite :
Ça a été une semaine folle! ! 4 jours pour rentrer dans un rôle, être sûr de la musique, et apprendre la mise en scène pour, sans une seule répétition avec Orchestre, faire mes débuts dans cette salle mythique ! Ils ont été repoussés 2 fois (en avril dernier avec le Barbier puis la première série en décembre)... Mais ce soir c'est la bonne!! Quel immense privilège de fouler la scène de cette salle légendaire du Wiener Staatsoper pour ce Don Pasquale de Donizetti! (Et pas dans le costume de n'importe qui, vous noterez.....) Il y a des étapes dans la vie d'un chanteur et celle-ci en est incontestablement une... Je suis stressé comme rarement je l'ai été dans ma vie... Mais je compte profiter de chaque minute !!!!
Qu'est-ce qui a causé cette précipitation ? Les répétitions de novembre et de décembre avaient-elles été complètement annulées ? Et dans ces circonstances, pouvez-vous nous relater votre expérience de la soirée d'hier ? Le stress bien naturel que vous mentionnez a-t-il généré des effets positifs et porteurs ?
Cyrille Dubois C'est LA façon de procéder des théâtres dits "de répertoire" germanophones. Ils ont en stock un grand nombre de productions qui ont connu un certain succès qu'ils remettent régulièrement à l'affiche dans leur saisons avec des distributions différentes. Cela leur permet de jouer un nombre extrèmement important d'oeuvres sur une année. Avec le revers que le temps de reprise est très court et souvent limité à une semaine tout compris. Il faut donc arriver extrèmement bien préparé: n'avoir aucun doute sur la partition et avoir déjà quelques bases de la mise en scène. Les répétitions de la première série de décembre ont été - pour les raisons qu'on sait - complètement annulées, mais cela n'aurait pas été plus long... Ici nous avons fait 1 journée de musicale avec le Maestro puis grosso-modo, 1 jour par acte. A peine un filage pour "vérifier" que nous avions intégré les fondamentaux de la mise en scène, et sans aucune répétition avec orchestre. C'est presque cela le plus stressant. Ne jamais avoir expérimenté l'acoustique d'un lieu avant d'y chanter, c'est comme se jeter dans la mer sans être passé par la piscine.... Comme c'était ma prise de rôle et mes débuts dans cette salle incroyable, la pression était énorme. Quand on commence un rôle, on ne sait jamais où la mémoire peut nous jouer des tours. Heureusement, pas de trou... pas d'accident de parcours. L'adrénaline a joué son rôle et j'ai pu arriver au bout sans trop de doutes... Et les réflexes de maintenant plus de 10 ans de scène font qu'on se laisse porter par l'expérience pour en profiter au maximum... Mais cela laisse songeur sur les temps de répétition de certains spectacles: car au final quand tout le monde est vraiment prêt, il ne faut pas si longtemps pour arriver à un résultat superbe!
LR Quelle est votre approche personnelle du personnage d'Ernesto ? Qui est-il à vos yeux, quels aspects de sa psychologie cherchez-vous à interpréter ? Qu'est-ce qui vous le rend particulièrement sympathique?
Cyrille Dubois J'avoue ne pas avoir pu creuser réellement la psychologie du personnage d'Ernesto. Souvent c'est un travail qui est accompagné par la vision du metteur en scène. Comme ici cette reprise s'est faite extrèmement vite, nous n'avons pas pu avoir ce travail. Néanmoins, on ressent chez ce personnage un amour sincère qui se voit contrarié par les plans ourdis par son oncle pour se marier. Il y a donc un vrai désespoir dans la scène de l'adieu (" Povero Ernesto ") qui débute le 2è acte, puis un réel amusement dans cette sérénade du milieu du 3è (Come è gentil'). Le duo final Norina/Ernesto est un petit bijou bel cantiste et vrai duo d'amour où les voix s'entrecroisent. Mais c'est un peu le classique du ténor amoureux de la soprane contrarié par le baryton (rires).
LR Qu'appréciez-vous dans la mise en scène et dans la direction d'acteurs de la metteure en scène Irina Brook ?
Cyrille Dubois Là encore il est un peu délicat de parler de travail de direction d'acteur lorsqu'on a eu si peu de temps pour s'approprier la mise en scène. Néanmoins ce que j'aime dans cette mise en scène c'est le côté très coloré (presque piquant... tellement de rose) et le comique qui s'en dégage.
LR Vous avez fait cette année deux grandes prises de rôle dans des opéras de Donizetti, votre Ernesto viennois et, en version concertante, votre Nemorino du Théâtre des Champs-Élysées. Percevez-vous une communauté de caractères entre ces deux personnages ? Qu'est-ce qui vous séduit chez l'un et chez l'autre ?
Cyrille Dubois J'essaie d'aller prudemment vers ce répertoire du bel canto. Les attentes du public sont très élevées quant à la pyrotechnie vocale, et je ne suis pas un chanteur démonstratif de ce côté là: je connais mes forces qui sont plus sur le dire, le raconter, la musicalité, que sur l'exubérance vocale... Néanmoins pour la beauté des lignes de chants on ne peut lui dénier un indiscutable attrait. Ces deux personnages de Ernesto et Nemorino, sont extrêmement candides. Une forme d'ingénuité qui est toujours amusante à jouer. Il ne faut pas chercher à dire plus que la véracité des émotions décrites par la musique. Donizetti a cette faculté de faire sortir l'émotion vraie de sa musique. Et l'orchestration est fabuleuse. Quand on pense au duo avec Basson dans 'una furtiva lagrima' ou ici avec la trompette dans " cercherò lontana terra " on ne peut que se laisser emporter.
LR Une année Donizetti ! Sur le plan vocal, sur le plan technique, quels défis sont-ils á relever dans l'interprétation du rôle d'Ernesto? Particulièrement dans " Cercherò lontana terra " ou " Com'è gentil " ?
Cyrille Dubois Ohhhhh oui! Que ce premier air est difficile ! C'est une tonalité extrèmement aigüe ! Il faut une grande détente pour arriver au bout. La clé est de ne jamais sur-chanter ! Pour un ténor, le centre de gravité de cet air est légèrement au dessus d'une zone qu'on appelle "le passage" au-delà duquel on doit s'investir plus pour atteindre ces notes. Mais le secret est de toujours porter la voix sur le souffle et ne pas laisser le larynx remonter même lorsque s'enchainent les montées (" sa -a -ra -a paaaaago ") sinon on ne fait jamais l'aigu (attendu mais non écrit) final. Chanter du bel canto fait extrèmement de bien à l'instrument, il permet de rejouer avec le legato qu'on peut parfois abandonner sur des répertoires plus "textuels". On ne peut pas " tricher " lorsqu'on interprète ce répertoire et il y a une forme de jubilation à repousser les difficultés techniques au service de (on ne l'invente pas) du bien chanté (ben canto) et du beau chant (bel canto)...
LR Enfin aviez-vous déjà eu l'occasion de travailler avec le maestro Evelino Pidò ? Qu'appréciez-vous dans sa direction musicale et dans son approche de la musique de Gaetano Donizetti ?
Cyrille Dubois C'est la première fois que je travaillais avec Maestro Pidò. Mes collègues m'avaient indiqué sa très grande exigence et j'avoue avoir apprécié celle-ci. Il connaît extrèmement bien la partition et sait exactement ce qu'il veut. Ce qui est très précieux lorsqu'on aborde un nouveau rôle. Sa science de ce répertoire, des effets, des travers dans lesquels ne pas tomber, est porteuse. Je n'ai jamais eu de problème avec l'exigence — c'est souvent l'inverse avec lequel j'ai beaucoup de mal. Mais ici je me suis mis au service de sa vision. Il est légataire de cette grande tradition de l'interprétation de la musique italienne et c'est agréable d'être guidé par quelqu'un qui sait. Il nous a corrigé à de nombreuses reprises sur des erreurs de la partition chant piano, grace aux recherches qu'il a effectué sur le manuscrit. J'ai donc beaucoup aimé cette première rencontre.
LR Merci infiniment Cyrille Dubois d'avoir pris le temps de participer à cette interview, de nous avoir éclairé sur le fonctionnement des maisons d'opéra germanophones et livré de précieux renseignements sur la technique du chant.
Crédit photographique © Philippe Delval