Il y a cette publicité pour une grande banque qui passe ici depuis quelques temps et qui m'énerve et je n'arrivais pas à comprendre complètement pourquoi.
Elle met en vedette une jeune asiatique que reçoit quelque chose d'un livreur. Elle s'adresse alors à la caméra jusqu'à la fin de la pub. Mais la première fois qu'elle parle, le livreur lui demande "est-ce à moi que vous parlez?". Mais elle répond toujours à la caméra, pas à lui. Le livreur/postier lui reparlera une au deux fois aussi, mais c'est à nous, qui regardons l'annonce, qu'elle répondra encore. Cette pub m'agace. Ce n'est pas juste parce que l'ironie me semble grande de placer un accent si français dans le décor de ce qui ressemble beaucoup au Plateau Mont-Royal (le postier à un accent Québécois). Puis j'ai trouvé. C'est plutôt le fait que les deux ne se parlent pas. Et que c'est presque normal. Traité ainsi, du moins. Ce qui se rapproche de la réalité de 2022.
Depuis autour de 2008, nous sommes désorientés. On semble incapables de parler les mêmes langues ou simplement reconnaître les mêmes vérités. Nous sommes coupés l'un de l'autre, et de nos passés respectifs et collectifs.
Il semble aujourd'hui clair qu'il y a deux peuples (minimum) dans chaque pays. Nous avons appris à vivre polarisés sur les mêmes sols. On a presque tous deux visions de l'économie, de la science, des droits humains, de l'histoire passée et surtout de celle que nous vivons en ce moment. Nous vivons une vie fragmentée des institutions, de nos leaders, de notre présent et de nos futurs. J'entends encore la semaine dernière mon covidiot de nouveau patron dire dans la cuisine "Les psychopathes comme François Legault..." J'ai pas écouté la suite ramassant mes deux bras au sol dans le corridor au loin. Je n'aurais pas voulu être dans la cuisine, j'aurais explosé de rire.
Ce qu'on a appelé "les réseaux sociaux" ont définitivement eu un impact sur nos sociétés depuis 2008. Pas toujours pour le mieux. La fragmentation commence là.
Facebook, qui avait 4 ans, disait vouloir réinventer la manière de faire circuler l'information. Ce qu'ils ont très (mollement et naïvement) fortement fait. Avec les résultats qu'on connait. 10 ans plus tard, un clown est passé au pouvoir, aux États-Unis, largement aidé par les faussetés relayées sur ce site.
Dans leurs premières incarnations Myspace et Facebook étaient plutôt candides. On pouvait y trouver des version très personnalisées d'extension de nos boites postales, de nos courriels, de nos téléphones dits intelligents par les textos. Je n'ai jamais communiqué avec mes proches autant que depuis les textos. Peu à peu, les usagers sont devenus nettement plus personnels, intimes, et plus confortables à partager bien des détails avec de purs étrangers et avec des entreprises, partout sur terre.
Vers 2013, les médias sociaux devenaient un "game changer". Tu pouvais perdre ton travail si tu n'intégrais pas tout ça intelligemment. Si tu étais habile, tu faisais le plein d'abonnés dans le monde et tu t'ouvrais des tonnes d'horizons, peut-être même devenais-tu riche. Malhabile, tu te ferais haïr, ont t'insulterait, tenterait de t'humilier, te dénoncerais, tu serais banni, temporairement banni. Tu serais d'une nouvelle tribu. Consentant, ou non.
Ce nouveau type de dynamique encourage la malhonnêteté et la dynamique de groupe. Les usagers ne sont plus guidés par ce qu'il savent depuis toujours, mais par les réactions passées que leurs écrits ont suscités. Par leur prédiction de réaction des autres. Un délice pour ceux qui n'avaient jamais attiré l'attention nulle part dans leur vie. Un ancien travailleur qui avait bossé sur le bouton "retweet" de Twitter dira sagement "on a peut-être donné à un enfant de 4 ans, un fusil chargé".
Les médias sociaux ont magnifié, grossi et armé le frivole. Notre démocratie se porte-t-elle mieux si on passe une semaine à critiquer une femme qui se plaint des congés de maternité chez les enseignants ? Si on passe une autre semaine à condamner les radios poubelles de Québec ? Une autre à se demander si une fille a le droit de payer ses études universitaires en se montrant les lolos sur les réseaux sociaux et en identifiant son université ? À défendre Mike Ward ou le pauvre mal entouré ? à défendre la science et /ou condamner ceux et celles qui n'y croient pas ?
Les médias sociaux ont davantage clivé la polarisation politique, cimenté le populisme, particulièrement dans les mouvements de droite. Et à largement fait circuler de l'information fausse, un peu partout. L'ignorance épidémique.
Il y a fracture communicationnelle. Entre les gens, entre les générations, entre les peuples. Un certain nihilisme s'est bien installé. Qu'est-ce qu'était le mouvement Occupy encore? la destruction des institutions en place. Mais il n'y a jamais eu de vision alternative pour les remplacer. Renverser sans jamais penser gouverner. No future pour vrai.
Les dars lancés ont donné du pouvoir aux trolls. Ça a mené à de nombreuses injustices et à de la politique (aux États-Unis) dysfonctionnelle. Ça a créé de l'espace aux provocateurs et réduit au silence les bons citoyens. Les dars donnent aussi des voix aux extrémistes. De toute sorte, jamais bon. Et a encore ralenti l'écrasant majorité silencieuse, sensée et raisonnable. Les grandes victimes des attaques sur les réseaux sociaux sont, sans surprises, les Femmes et les gens racisés. Facile de se cacher sur le net en exposant sa misogynie et son racisme. La stupidité est désormais mieux structurée. Mais reste stupide. Le trollisme peut être un art fameusement maitrisé. On devient niais en groupe parce qu'on craint de recevoir des dards.
Ça reste faible. On ne reviendra jamais à l'ère pré-digitale.
Comme l'imbécilité en général, faut faire avec.
Les réseaux sociaux ne sont pas nécessairement imbéciles. Ils nous ont imbécilisé(e)s.
Faut faire avec. Avec toute notre tête.
Mais parlons nous. Pour vrai.