Tribalisme

Publié le 24 avril 2022 par Hunterjones

Il y a cette publicité pour une grande banque qui passe ici depuis quelques temps et qui m'énerve et je n'arrivais pas à comprendre complètement pourquoi. 

Elle met en vedette une jeune asiatique que reçoit quelque chose d'un livreur. Elle s'adresse alors à la caméra jusqu'à la fin de la pub. Mais la première fois qu'elle parle, le livreur lui demande "est-ce à moi que vous parlez?". Mais elle répond toujours à la caméra, pas à lui. Le livreur/postier lui reparlera une au deux fois aussi, mais c'est à nous, qui regardons l'annonce, qu'elle répondra encore. Cette pub m'agace. Ce n'est pas juste parce que l'ironie me semble grande de placer un accent si français dans le décor de ce qui ressemble beaucoup au Plateau Mont-Royal (le postier à un accent Québécois). Puis j'ai trouvé. C'est plutôt le fait que les deux ne se parlent pas. Et que c'est presque normal. Traité ainsi, du moins. Ce qui se rapproche de la réalité de 2022.

Depuis autour de 2008, nous sommes désorientés. On semble incapables de parler les mêmes langues ou simplement reconnaître les mêmes vérités. Nous sommes coupés l'un de l'autre, et de nos passés respectifs et collectifs. 


Il semble aujourd'hui clair qu'il y a deux peuples (minimum) dans chaque pays. Nous avons appris à vivre polarisés sur les mêmes sols. On a presque tous deux visions de l'économie, de la science, des droits humains, de l'histoire passée et surtout de celle que nous vivons en ce moment. Nous vivons une vie fragmentée des institutions, de nos leaders, de notre présent et de nos futurs. J'entends encore la semaine dernière mon covidiot de nouveau patron dire dans la cuisine "Les psychopathes comme François Legault..." J'ai pas écouté la suite ramassant mes deux bras au sol dans le corridor au loin. Je n'aurais pas voulu être dans la cuisine, j'aurais explosé de rire. 

Ce qu'on a appelé "les réseaux sociaux" ont définitivement eu un impact sur nos sociétés depuis 2008. Pas toujours pour le mieux. La fragmentation commence là. 

Au début des années 90, l'internet restait innocent. Chat rooms, message boards, courriels, vers 2003, on avait les sommets de ces nouveaux outils. Myspace, Friendster, Facebook, 5 ans plus tard, devenaient dominants. Facebook atteignant les 100 millions d'utilisateurs dès le début (ou presque) et aujourd'hui on parle de plus de 3 milliards partout dans le monde. On disait alors qu'une "nouvelle démocratie naissait". Tout le monde pouvait faire fleurir son ego. Les dictateurs devaient baver d'envie face à une telle colonie de masse mondiale sous le même chapiteau. Les Russes l'ont vite compris. En 2011, une année qui a débutée par ce pauvre marchand désespéré qui s'est immolé parce qu'excédé par le gouvernement qui le volait sans scrupules en lui prenant toutes ses recettes, et lui soutirant son chariot de vente continuellement (et ses profits) élément déclencheur du printemps Arabe; et qui se terminait par le mouvement Occupy Wall Street (ou wherever), Google translate devenait maintenant accessible à tous, partout sur le globe. Nous pouvions virtuellement parler tous la même langue! Nous avions reconstruit en vrai, la métaphore biblique du roman le plus vendu sur terre, de la tour de Babel. Nous étions excessivement près de n'être plus qu'un, métaphoriquement. La division du langage n'existait plus. Pour les technos démocrates, c'était un bel arc-en-ciel.

Facebook, qui avait 4 ans, disait vouloir réinventer la manière de faire circuler l'information. Ce qu'ils ont très (mollement et naïvement) fortement fait. Avec les résultats qu'on connait. 10 ans plus tard, un clown est passé au pouvoir, aux États-Unis, largement aidé par les faussetés relayées sur ce site. 

Les spécialistes sociaux ont toujours dit qu'un civilisation saine démocratique se définit par trois choses: Le capital social et des réseaux sociaux par lequel la confiance est béton. des institutions fortes et des histoires fortes partagées collectivement. Les médias prétendus sociaux ont affaiblis les trois. Plus vite encore passé 2009. 

Dans leurs premières incarnations Myspace et Facebook étaient plutôt candides. On pouvait y trouver des version très personnalisées d'extension de nos boites postales, de nos courriels, de nos téléphones dits intelligents par les textos. Je n'ai jamais communiqué avec mes proches autant que depuis les textos. Peu à peu, les usagers sont devenus nettement plus personnels, intimes, et plus confortables à partager bien des détails avec de purs étrangers et avec des entreprises, partout sur terre. 

On est tous devenus meilleurs à s'auto-promouvoir, à se présenter, à calculer, mesurer, aiguiller nos performances sur le net. On a impressionné, on a déçu, on s'est gonflé l'ego. Passé 2009, la dynamique virale nous as tous affectés. Quand, en 2009, Facebook créé son bouton "aime", Twitter suit aussitôt à sa création. On peut non seulement aime, mais retwitter ce qu'on aime. L'égo se colore plus vite. Les recherches ont prouvé que les écrits les plus émotifs, bons ou mauvais, sont les plus relayés et partagés. 
Vers 2013, les médias sociaux devenaient un "game changer". Tu pouvais perdre ton travail si tu n'intégrais pas tout ça intelligemment. Si tu étais habile, tu faisais le plein d'abonnés dans le monde et tu t'ouvrais des tonnes d'horizons, peut-être même devenais-tu riche. Malhabile, tu te ferais haïr, ont t'insulterait, tenterait de t'humilier, te dénoncerais, tu serais banni, temporairement banni. Tu serais d'une nouvelle tribu. Consentant, ou non. 
Ce nouveau type de dynamique encourage la malhonnêteté et la dynamique de groupe. Les usagers ne sont plus guidés par ce qu'il savent depuis toujours, mais par les réactions passées que leurs écrits ont suscités. Par leur prédiction de réaction des autres. Un délice pour ceux qui n'avaient jamais attiré l'attention nulle part dans leur vie. Un ancien travailleur qui avait bossé sur le bouton "retweet" de Twitter dira sagement "on a peut-être donné à un enfant de 4 ans, un fusil chargé".
Les médias sociaux ont magnifié, grossi et armé le frivole. Notre démocratie se porte-t-elle mieux si on passe une semaine à critiquer une femme qui se plaint des congés de maternité chez les enseignants ? Si on passe une autre semaine à condamner les radios poubelles de Québec ? Une autre à se demander si une fille a le droit de payer ses études universitaires en se montrant les lolos sur les réseaux sociaux et en identifiant son université  ? À défendre Mike Ward ou le pauvre mal entouré ? à défendre la science  et /ou condamner ceux et celles qui n'y croient pas ?
Les médias sociaux ont davantage clivé la polarisation politique, cimenté le populisme, particulièrement dans les mouvements de droite. Et à largement fait circuler de l'information fausse, un peu partout. L'ignorance épidémique. 

Il y a fracture communicationnelle. Entre les gens, entre les générations, entre les peuples. Un certain nihilisme s'est bien installé. Qu'est-ce qu'était le mouvement Occupy encore? la destruction des institutions en place. Mais il n'y a jamais eu de vision alternative pour les remplacer. Renverser sans jamais penser gouverner. No future pour vrai. 

Avec une conception naïve de la psychologie humaine, une faible compréhension de la complexité des institutions, et absolument aucun souci à l'égard des impacts sociétaires, Facebook, Twitter, Youtube et leurs quidams, on peu à peu dissout le mortier de la confiance envers les institutions, les médias, les histoires partagées qui faisaient tenir la démocratie ensemble. Trump n'a pas fait s'écrouler les murs de vérités, il en a exploité les failles. Il aura été le premier politicien à maitriser la nouvelle dynamique où l'outrage et le réactionnaire son la clé de la virilité, où les performances bruyantes écrasent les compétences. Twitter ou Facebook peuvent déclasser toutes les sources d'informations, partout. Mais la vérité n'a presque plus d'adhérence nulle part.Un politicien qui se serait vanté de prendre les Femmes qui lui plaisent par la chatte, aurait dû être fatal à sa carrière de politicien. Mais ce ne le fût pas. On vit dans un société où il n'est pas anormal de déconseiller à des nouveaux élus républicains d'établir leur famille à Washington, "parce que trop démocrate, de toute manière". Ça existait avant 2009 de ne pas fraterniser avec le camp ennemi, mais les réseaux sociaux ont amplifié cette loi non-écrite. Si tu fraternise via les réseaux sociaux tu te le fera reprocher. Si tu n'attaques pas assez l'ennemi, aussi. Ça prend la bonne vigueur. Un tweet méchant ne tue personne. C'est une agression verbale. Une intention d'humilier devant tout le monde. D'être loyal à ta tribu. On se tire des milliards de dards depuis 2009. Les réseaux sociaux ont donné une voix à ceux qui en avait peu. Ils ont aussi obligé une certaine part de responsabilité, pas juste en politique, mais dans le milieu des arts, en affaires, chez les académiciens et les diplômés, et partout. Le prédateurs sexuels peuvent se faire exposer. Le mouvement #MeToo n'a pas pu exister sans les réseaux sociaux. Mais le niveau de responsabilité reste inégal. 

Les dars lancés ont donné du pouvoir aux trolls. Ça a mené à de nombreuses injustices et à de la politique (aux États-Unis) dysfonctionnelle. Ça a créé de l'espace aux provocateurs et réduit au silence les bons citoyens. Les dars donnent aussi des voix aux extrémistes. De toute sorte, jamais bon. Et a encore ralenti l'écrasant majorité silencieuse, sensée et raisonnable. Les grandes victimes des attaques sur les réseaux sociaux sont, sans surprises, les Femmes et les gens racisés. Facile de se cacher sur le net en exposant sa misogynie et son racisme. La stupidité est désormais mieux structurée. Mais reste stupide. Le trollisme peut être un art fameusement maitrisé. On devient niais en groupe parce qu'on craint de recevoir des dards. 

Le pizzagate, QAnon, la désinformation face à la Covid-19, l'idée que Donald Trump ait gagné l'élection ou qu'il se soit fait voler sa présidence, ça ne peut exister sans l'aide de Facebook et Twitter. Se faire ponctuellement de traitre, de groomer, de boomer, de raciste, de transphobe, de Karen, de woke, on tente de vous humilier, on mord où on mord pas, mais entre vous et moi, être woke de nos jours, c'est simplement être FUCKING JUSTE. Ça, on ne me l'enlèvera jamais de la tête. Mais on vise votre mort sociale, avec ça...
Ça reste faible. On ne reviendra jamais à l'ère pré-digitale. 

Comme l'imbécilité en général, faut faire avec. 

Les réseaux sociaux ne sont pas nécessairement imbéciles. Ils nous ont imbécilisé(e)s.

Faut faire avec. Avec toute notre tête. 

Mais parlons nous. Pour vrai.