De taille plus importante que le disque palmaire (voir 2 Une figure de l’Incommensurable ), le globe tenu à main gauche est presque toujours un insigne de pouvoir : du Christ-Roi, d’un Archange, d’un Ange, ou encore de Lucifer. Après un panorama rapide de ces cas, cet article examinera quelques exceptions.
Le Globe du Christ-Roi
Dans l’immense majorité des cas, le globe dans la main gauche du Seigneur porte une marque christique ou est surplombé d’une croix : il extrapole le globe du Pouvoir à la Royauté cosmique, dont procède la Royauté terrestre.
Antependium de Bâle, 1015-23, Musée de Cluny (détail).
Au centre de ce devant d’autel, les deux donateurs (l’empereur Henri II et son épouse Cunégonde) se prosternent aux pieds du Christ, désigné comme :
Roi des Rois et Seigneur des Seigneurs
Rex regum et D(omi)n(u)s dominantiu(m)
Il porte dans sa main gauche un globe frappé d’un chrisme entre l’alpha et l’omega, qui symbolise ce pouvoir suprême et éternel.
- A sa droite; l’archange combattant, Michaël porte à main gauche l’étendard et à main droite un globe marqué seulement d’une petite croix, emblème classique des archanges qui souligne leur pouvoir militaire, comme nous le verrons plus bas ;
- A sa gauche, l’archange Gabriel, celui de l’Annonciation, ne s’occupe pas de combattre, mais de transmettre la parole de Dieu : ce pourquoi il tient dans sa main droite son bâton de messager, et tend la paume gauche vers l’avant, dans un geste de prise de parole.
Cette composition savante [1] témoigne de la codification très précise, à l’époque ottonienne, du globe comme figure du pouvoir.
L’Empereur Heinrich V, Châsse de Charlemagne, 1182-1215, Cathédrale d’Aix la Chapelle Christ en majesté, Châsse de Notre-Dame de Tournai, Nicolas de Verdun, 1205
L’Empereur, vice-roi du Christ ici-bas, ne diffère de lui que par la couronne (substitut terrestre de l’auréole) et le geste de la main droite : l’un place sous son sceptre ses terres, l’autre sous sa bénédiction la Terre : deux nuances du globe crucigère.
Dieu envoyant l’Archange Gabriel à Marie, fol 12v Majestas Dei, fol 14
Psautier Shaftesbury, Angleterre, 1225-50, British Library Lansdowne 383
Ce psautier baigne dans l’imagerie royale : couronne ou chrisme marqué REX.
Le globe dans la main
La position du globe, à main gauche puis à main droite, est ici particulièrement intéressante.
Dans la première image, Dieu ordonne de la main droite à l’Archange d’aller, en compagnie de l’Esprit Saint en approche, porter son message à Marie : le globe crucigère, à main gauche, indique à la fois le pouvoir royal et la direction à prendre, celle de la Terre (ce pourquoi il est vert et nuageux).
Dans la seconde image en revanche, le globe est passé dans la main droite au dessus de la donatrice prosternée, qui se présente donc par la droite du Christ : cette position, contraire à l’humilité, est habituellement celle du don – pour que le Christ puis recevoir l’objet de la main droite – ou de l‘invitation – en réponse à la main bénissante (voir 2-3 Représenter un don ). Or ici nous ne sommes dans aucun des deux cas.
Par sa dorure, le globe prend une connotation plus abstraite, comme insigne du pouvoir divin. Il y a de fortes présomptions que la donatrice soit Adeliza de Louvain, veuve du roi d’Angleterre Henri I. Elle serait donc représentée ici en tant que veuve, quittant l’autorité du Roi pour se soumettre désormais aux commandements du Christ-Roi. Quoiqu’il en soit, il est clair que cette image très exceptionnelle a une forte composante biographique.
Les globes poitevins
Les fresques du Baptistère St Jean et Ste Radegonde
Fresques 11ème siècle
Baptistère St Jean et Ste Radegonde, Poitiers.
Ces fresques très complexes, où diverses époques se mêlent, ont été débrouillées par Marc Thibout [2]. Au dessus de l’arc triomphal, on rencontre la scène assez rare de l’Ascension du Christ, entre deux anges et les apôtres.
En contrebas, se trouvaient quatre cavaliers, dont l’un est désigné par l’inscription « Constantin ». Les deux les mieux conservés chevauchent en tenant un globe de la main gauche ou de la main droite, l’autre main tenant les rênes ou le sceptre dans le cas de Constantin. Il n’est donc pas douteux qu’il s’agisse d’un globe impérial. Le « cavalier Constantin », assez fréquent dans l’art roman de l’Ouest de la France, résulte probablement d’une assimilation entre cet empereur et le premier des quatre Cavaliers de l’Apocalypse.
Y. Labande-Mailfert [3], se basant sur des commentaires d’Orose et d’Adam Scot, identifie quant à elle ces cavaliers à l’ensemble des souverains chrétiens qui « accourent vers le centre pour offrir au Christ un monde, image des terres qu’ils gouvernent ».
Fresque du XIIIème
Dans l’abside, le Christ élève le globe impérial dans sa main gauche. La fresque, quoique plus récente que celles des quatre cavaliers, recouvre des fresques antérieures. Il n’est donc pas impossible que le globe dans la main du Christ soit celui que les cavaliers lui ont apporté.
L’originalité de ce programme iconographique pourrait expliquer la fréquence de ces globes élevés de la main gauche, dans d’autres fresques poitevines.
Les globes de Sainte Radegonde de Poitiers
Fresque du 13ème, refaite au 19ème
Eglise Sainte Radegonde, Poitiers
Il est impossible de porter un jugement sur la fresque de la voûte, très vigoureusement « restaurée » vers 1850 par Honoré Hivonnait. On ne connaît pas l’état initial des trois disques :
- celui que le Christ présente dans sa manche gauche,
- celui que la Vierge en dessous élève dans sa main droite
- celui dans la main gauche du Christ en buste :
Chapelle Sainte-Madeleine, fin XIIIème, Eglise Sainte-Radegonde, Poitiers
La chapelle Sainte-Madeleine présente dans sa clé de voûte un Dieu trônant et portant un petit globe dans sa main gauche, au dessus des symboles des quatre Evangélistes et des huit consoles en forme de têtes de rois et de reines.
Dans ce contexte particulier d’une ancienne salle capitulaire, il est probable que le globe a ici sa valeur impériale (le Roi des Rois) plutôt que la valeur cosmique d’un disque palmaire.
Le globe de l’archange
Archange, Ivoire byzantine, 525-550, British Museum
On pense que ce panneau formait probablement un diptyque avec un panneau représentant l’Empereur Justinien, auquel l’archange remettait ce globe crucigère : il s’agit donc d’un globe impérial habituel, emblème du pouvoir sur la Terre, mais délégué par Dieu à l’empereur.
Diptyque du Christ et de Marie, Constantinople, vers 550, Staatliche Museum, Berlin
Ici en revanche, le globe non crucigère, mais marqué par deux grands cercles orthogonaux; représente le globe céleste, royaume de Marie reine des Cieux.
Solidus de Magnus Maximus, 383-84, British Museum
Nous avons vu apparaître ce globe en X dans les mains de deux co-empereurs divinisés, comme symbole flatteur, à l’antique, d’un pouvoir de type cosmique (voir 1 Epoque romaine ). Dans ce cas particulier, la forme en X favorisait l’idée d’union et de cohésion du pouvoir, tandis que la forme en croix aurait pu suggérer une partition. Remarquons aussi que, graphiquement, la forme du X se prête à la préhension latérale et par dessous.
Diptyque de Murano (détail), 500-550, Museo Nazionale, Ravenne
Deux siècles plus tard, cette composition byzantine montre, de part et d’autre de deux anges élevant une croix dans un clipeus à l’antique, deux archanges tenant un étendard cruciforme. Le fait que l’artiste n’ait pas représenté les deux globes marqués d’une croix, montre une claire séparation des symboles dans le monde byzantin :
- le globe en X, lu désormais comme un khi, représente le pouvoir céleste du Christ ;
- le globe crucifère représente le pouvoir terrestre de l’Empereur.
Auparavant divinisé (« deus » ou « filius dei »), l’empereur byzantin n’est plus que le représentant du Christ sur terre, partageant son pouvoir avec le patriarche.
Mosaïque de Cefalù, avant 1148
On voit ici dans les mains des archanges Michel et Uriel le globe byzantin sous sa forme médiévale la plus courante (une croix en haut d’un mont), en alternance avec l’autre symbole beaucoup plus rare dans les mains de Raphaël et Gabriel (une croix entre deux monts).
Evangélaire de Teophanu, 1039-58, Domschatz, Essen (détail)
Dans cette reliure réalisée pour Teophanu, princesse byzantine devenue épouse de l’empereur Otton II, les deux archanges se sont occidentalisés : ils portent sur leurs globes les symboles du Soleil et de la Lune.
Jugement particulier, 1263, San Pellegrino, Bominaco
A Bominaco, l’archange Michel effectue le Jugement particulier d’un défunt [4] derrière un meuble en forme d’autel : d’où une ambiguïté visuelle entre le globe archangélique et une hostie. Le monogramme (la croix en haut du mont) a probablement été choisi pour son contraste avec le fléau incliné : il exprime l’ordre divin du monde, délivré de Satan et remis en équilibre.
Le globe de l’ange
Dans l’orfèvrerie rhénane et mosane
Le globe est parfois décerné à de simples anges, sans doute par assimilation avec celui des archanges. Exceptionnellement, ce disque représente une hostie.
Chasse de St Héribert 1146-60 , église de Deutz (Cologne)
Les quatre anges lateraux portent un disque marqué d’une croix selon les quatre combinaisons gauche/droite et main nue/main voilée. La couleur bleu ciel confère aux disques une valeur cosmique, et exclut qu’il s’agisse d’hosties.
La même chasse présente sur un des pans du toit d’autres possibilités de combinaisons, dans les émaux comme dans les figures en repoussé.
Petit triptyque Dutuit, vers 1150, Petit Palais
Ce petit reliquaire montre, de part et d’autre des reliques de la vraie Croix, deux anges en pied portant le roseau et la lance. En haut des volets avec les reliques des douze apôtres, deux autres anges portent un disque à main nue, de la main gauche et de la main droite.
M.Angheben ([5], p 99) voit dans ces disques des hosties, et identifie ces anges à celui dont il est question dans la prière du « Supplices » :
« Nous vous en supplions, Dieu tout-puissant, ordonnez que ces offrandes soient portées par les mains de votre saint Ange sur votre autel céleste, à la vue de votre divine majesté »
« Supplices te rogamus, omnipotens Deus, jube hæc perferri, per manus sancti Angeli tui, in sublime altare tuum in conspectu divinæ majestatis tuæ »
L’interprétation théologique de cet ange transportant les offrandes est très obscure [6], et il n’en existe pas de représentation certaine. Le seul cas où un disque mosan est indiscutablement une hostie est celui-ci :
Croix mosane 1150-75 Walters art museum Baltimore
L’ange qui exhibe une hostie blanche et un ciboire est ici une allégorie de l’Espoir (SPES), de même que son compagnon portant un agneau représente l‘Innocence et le troisième avec une cuve baptismale la Foi. Isoler l’ange du haut pour y voir celui du Supplices est donc difficile, d’autant que la main de Dieu située en dessous contrarie l’idée de l’autel céleste et du regard de Dieu.
L’ange du « Supplices »
Abside, 1100-20, église de Tavant (photo J.Mossot, structurae.net)
Marcello Angheben ([7], p 145) reconnaît également l’ange du Supplices dans les figures difficilement lisibles, en bas à gauche de la Majestas Dei de l’abside. Les gestes d’offrande, en contrebas de la figure divine, viennent à l’appui de cette interprétation.
Un cinéma eucharistique (SCOOP !)
Une large frise divise le ciel de l’abside en deux registres, chacun montrant la même succession de couches colorées :
- en haut sont placés les deux Animaux qui volent, l’Ange et l’Aigle ;
- en bas on trouve tout ce qui marche : les deux autres animaux (le Lion et le Taureau), la procession des trois anges, flanqués par deux figures composites (séraphins par leur six ailes, chérubins par les boules de feu sous leurs pieds).
Le fait que les anges processionnaires se soient posés au premier étage de ce ciel à deux étages renforce l’idée qu’il sont montés depuis le rez-de-chaussée, à savoir l’autel terrestre où se déroule l’Eucharistie.
La gestuelle des trois anges décompose en trois temps l’idée d’élévation :
- le premier tient le ciboire à deux mains, en dessous de la ligne d’horizon ;
- le deuxième élève une hostie de la main gauche ;
- le troisième élève l’hostie des deux mains, dans le geste de l’Ostension.
Les trois anges de la partie droite, malheureusement très abimés, montrent des gestes différents, mais qui semblent suivre une logique similaire :
- le premier (en partant de la droite) est illisible ;
- le deuxième tient une coupe de sa main gauche baissée, en élevant sa main droite vide ;
- le troisième élève la coupe de la main gauche, avec le même geste de la main droite.
Les anges de Tavant pourraient donc bien être une décomposition en six figures de l’ange du Supplices montrant à Dieu les offrandes : à gauche l’hostie, à droite le vin.
Le globe de Lucifer
12eme, Le Créateur entre Lucifer et St Michel, BSB Ambrosius Ambrosii hexaemeron libri VI – BSB Clm 14399 fol 1v
Lucifer est ici monté sous deux aspects :
- avant sa chute, à la droite du Créateur, avec son sceptre et son globe d’archange ;
- après sa chute, en bête sauvage capturée par Saint Michel archange.
Dieu créant les anges, Lucifer en gloire
Hortus deliciarum, 1159-75, brûlé en 1870, fol 3r
Texte du haut :
Dieu tout puissant et bon se trouve en haut, gérant les choses divines
omnipotens dominus divina bonus gerens exstat
Textes du bas :
Lucifer, sceau de la perfection, plein de sagesse et d’une beauté parfaite, dans les délices du Paradis
paraphrase d’Ezéchiel 28,12
Lucifer signaculum similitudinis plenus sapientia et perfectus decore in deliciis paradisi
Tu étais le chérubin oint pour protéger; je t’avais placé sur la sainte montagne de Dieu
Ezéchiel 28,14
tu cherub extentus et protegens et posui te in monte sancto Dei
Lucifer en gloire porte son sceptre et son globe d’archange protecteur. Le monticule placé sur ses pieds illustre « la sainte montagne de Dieu ».
Hortus deliciarum, 1159-75, dessin de Christian Moritz Engelhardt (1812), dans R. Green, Herrad of Hohenbourg: Hortus Deliciarum, fol 3v
Le verso de la page montrait la suite et la fin de l’histoire [8], où Lucifer déchu n’a plus de globe :
Scène du haut :
« Lucifer conçoit son plan contre le créateur »
Sur la banderole déroulée :
« Je monterai dans les cieux; au-dessus des étoiles de Dieu, j’élèverai mon trône; je m’assiérai sur la montagne de l’assemblée, dans les profondeurs du septentrion; je monterai sur les sommets des nues, je serai semblable au Très-Haut ! » Isa. 14:13-14
Ce texte explique pourquoi Lucifer ne tient plus les insignes du pouvoir : il élève ses mains nues vers le haut entre deux anges complices, dans la posture conventionnelle de l’Ascension (et il commence à déployer ses ailes).
Scène du bas :
« Michel et ses anges combattaient contre le dragon; et le dragon et ses anges combattaient; mais ils ne purent vaincre, et leur place même ne se trouva plus dans le ciel. » Apocalypse 12:7
Texte à gauche de Lucifer:
« Letifer ou Satanas ou Diabolus tombe avec ses conspirateurs, à savoir les démons, comme la foudre du ciel. Autrefois, il était semblable au Très-Haut, maintenant il n’est même plus égal au plus bas, c’est-à-dire aux êtres humains ».
Autres significations
Dans de rares exemples le globe porté à main gauche n’est pas un emblème du Pouvoir.
Dans l’Apocalypse de Trèves
Une pierre blanche
Fol 8v, Apocalypse de Trèves, codex 31 Fol 4v,Apocalypse de Cambrai, BM Ms 386
L’Eglise de Pergame, 800-50
Dans ces deux seuls exemplaires connus d’une Apocalypse carolingienne, l’illustrateur de Cambrai, en recopiant celui de Trèves, a rajouté un « globe » dans la main gauche de l’ange. Il sert ici à particulariser l’épisode de Pergame grâce à un détail caractéristique du texte, la pierre blanche :
« A celui qui vaincra, je donnerai de la manne cachée; et je lui donnerai une pierre blanche, et sur cette pierre est écrit un nom nouveau, que personne ne connaît, si ce n’est celui qui le reçoit. » (Apocalypse 2,17).
Le symbole des Nations
Jean et le roseau d’or, fol 33r
Apocalypse de Trèves, 800-50, Staatsbibliothek Trier Cod 31
Les personnages du bas illustrent le passage :
« Puis on me dit: » II faut encore que tu prophétises sur beaucoup de gens : nations, langues et rois. »
Apocalypse 10, 11
et dicunt mihi oportet te iterum prophetare populis et gentibus et linguis et regibus multis
Les rois ont pour attribut une couronne, et les langues des mains qui s’agitent. Le troisième attribut, le globe tenu dans la manche droite (marqué d’une croix ou du motif des deux monts) est donc l’attribut distinctif des nations.
Fol 61r, Apocalypse de Trèves, 800-50, Staatsbibliothek Trier Cod 31 Fol 43, Apocalypse de Cambrai, BM Ms 386
La Jérusalem céleste, avec l’Agneau et l’Arbre de vie
« Les nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre y apporteront leur magnificence » Apocalypse 21,24
On reconnaît à gauche la figuration des nations avec leur globe au motif à deux monts, cette fois complété par une croix (Trèves) ou une boucle (Cambrai).
Ces exemples ont l’intérêt de montrer que tenir le globe dans la manche n’implique pas un caractère sacré : c’est ici un signe de respect envers un emblème profane.
1060, BNF 12117, fol 106v
Cette page illustre la Chronologie biblique établie par Saint Jérôme [9]. A gauche de la chouette incarnant la Sagesse figure Salomon, tête de liste du Quatrième âge (colonne de gauche). La colonne de droite, le Cinquième Age, ne liste que des rois païens sans iconographie précise : ils sont illustrés par un roi générique, dont les deux disques ornés de signes étranges évoque des nations lointaines.
Dans le Commentaire sur l’Apocalypse
Vers 1150, Allemagne MS. Bodleian 352 fol 5v
Ce Commentaire sur l’Apocalypse très spécial (lointain descendant du type de l’Apocalypse de Trèves) propose trois disques différents.
Un bonnet
Dans l’image concernant l’église de Laodicée, le disque bleu tenu de la main droite vers le bas est un bonnet, qui va avec la tunique bleue tenue par un autre aide :
« je te conseille de m’acheter de l’or éprouvé par le feu, afin que tu deviennes riche; des vêtements blancs pour te vêtir et ne pas laisser paraître la honte de ta nudité… » Apocalypse 3,18
Une pierre précieuse
Dans la main gauche de Dieu, le disque rouge qui fait cependant au livre rouge représente probablement le jaspe et la sardoine qu’évoque le texte juste au dessus :
« Celui qui était assis avait un aspect semblable à la pierre de jaspe et de sardoine » Apocalypse 4,3
Une hostie
Vers 1150, Allemagne MS. Bodleian 352 fol 6r
Dans l’image suivante, le livre grandit et devient doré :
Puis je vis dans la main droite de Celui qui était assis sur le trône un livre écrit en dedans et en dehors, et scellé de sept sceaux. Apocalypse 5,1
La couleur dorée rend sacré et abstrait ce livre que l’artiste renonce à représenter.
L’agrandissement et la dorure contaminent également l’objet de la main gauche, que la proximité avec deux des coupes dorées des Vieillards apparente à une hostie. A noter l’objet bleu de forme variable qu’ils tiennent dans l’autre main, et qui n’est autre qu’une harpe :
« les vingt-quatre vieillards se prosternèrent devant l’Agneau, tenant chacun une harpe et des coupes d’or pleines de parfums, qui sont les prières des saints. » Apocalypse 6,8
Dans le Cantique des cantiques
Frontispice du Cantique des cantiques, Reichenau, vers 1000, Bamberg Staatsbibliothek Bibl.22 fol 5r
Cette illustration, la plus ancienne connue du Cantique des Cantiques, constitue la partie droite d’un bifolium à l’iconographie unique, qui a été très commenté [10]. Je n’aborde ici qu’un détail ordinairement négligé, le disque dans la main gauche du Seigneur.
La mandorle circulaire constitue l‘initiale O de la première phrase du Cantique des Cantiques :
Qu’il me baise des baisers de sa bouche.
Osculetur me osculo o(ris sui).
Le texte, qui se poursuit au verso, est agrémenté des commentaires d’Alcuin (pseudo-Isidore). Celui-ci interprète le verset 4 : « Entraine-moi après toi; courons ! Le roi m’a fait entrer dans ses appartements » de la manière suivante :
Pour que je te suive en montant au ciel
Confiante en la joie à l’intérieur de la patrie céleste.
Ut te ascendentem in caelum sequar
Fide in gaudia caelestis patriae interna.
C’est pour illustrer ce commentaire que l’artiste a adapté l’image habituelle de la Majestas Dei :
- en accentuant l’aspect de véhicule ascensionnel :
- deux anges (réduits à la tête) retiennent par en haut la coque dorée,
- deux autres (en pied) traversent cette coque pour soutenir par en bas le globe-siège, très exceptionnel à l’époque ottonienne (voir 4 Art ottonien et Beatus ) ;
- en montrant à droite l’Eglise dialoguant avec un ange qui s’apprête à lui donner l’accès à l’intérieur de la patrie céleste :
Les sept enfants noirs qui s’abritent sous son manteau illustrent le verset 5 « Je suis noire mais belle, filles de Jérusalem » tel qu’interprété par Alcuin :
La voix de l’Eglise affligée. Noire dans l’affliction des persécutions, mais belle dans l’ornement de ses vertus.
Vox Ecclesiae de suis pressuris. Nigra in pressuris persecutionum, sed formosa in decore virtutum.
Le détail de l’enfant dont elle voile les yeux traduit probablement le verset suivant : « Ne prenez pas garde à mon teint noir, c’est le soleil qui m’a brûlée » ainsi interprété par Alcuin :
Ne me regarde pas, si j’étais méprisée et rejetée par les hommes à cause de la tempête des tentations
Nolite mirari , si hominibus despecta sim foris ob temptationum æstus
Une logique calligraphique (SCOOP !)
Le copiste a donc suivi, comme il a pu, les interprétations alambiquées d’Alcuin : mais rien, ni dans le texte ni dans le commentaire, n’explique la présence du globe doré.
L’anneau externe (en bleu) centré sur l’ombilic du Seigneur (voir 3 Mandorle double symétrique ), constitue l’initiale d’Osculetur. Les trois cercles dorés -la mandorle, le globe-siège et le globe dans la main – évoquent les trois O qui suivent : jeu calligraphique confirmé par le O isolé de Oris, qu’il aurait été bien plus lisible de placer au verso.
A la rencontre des deux disques à l’intérieur de la capsule divine répond, à l’extérieur, celle des deux O jointifs du baiser et de la bouche.
Références : [1] Sur les subtilités des deux vers de l’inscription voir Francis Salet, « L’inscription de l’autel de Bâle (compte-rendu) », Bulletin Monumental Année 1958 116-1 pp. 75-77 https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1958_num_116_1_8761_t1_0075_0000_6 [2] Marc Thibout « Les peintures du baptistère Saint-Jean de Poitiers » Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France 1972 pp 52-54 https://www.persee.fr/doc/bsnaf_0081-1181_1974_num_1972_1_8117Article suivant : Le globe solaire
Pour des images détaillées, voir https://foucautalain9.wixsite.com/patrimoine-urbain/single-post/les-peintures-murales-du-baptist%C3%A8re-saint-jean-de-poitiers [3] Labande-Mailfert Y., « Les peintures murales du baptistère Saint-Jean de Poitiers », Études d’iconographie romane et d’histoire de l’art, Poitiers, 1982, p.247-261 [4] Marcello Angheben, « Le Jugement dernier de Fossa dans la perspective des deux jugements », Hortus Artium Medievalium, 21, 2015, p. 406-420. https://www.academia.edu/33768274/_Le_Jugement_dernier_de_Fossa_dans_la_perspective_des_deux_jugements_Hortus_Artium_Medievalium_21_2015_p._406-420 [5] Marcello Angheben, « Les reliquaires mosans et l’exaltation des fonctions dévotionnelles et eucharistiques de l’autel », Codex aquilarensis, 32, 2016, p. 171-208. https://www.academia.edu/36781851/_Les_reliquaires_mosans_et_l_exaltation_des_fonctions_d%C3%A9votionnelles_et_eucharistiques_de_lautel_Codex_aquilarensis_32_2016_p_171_208 [6] FRANÇOIS POHIER « Les mystères liturgiques de la prière « Supplices » » https://www.introibo.fr/Les-mysteres-liturgiques-de-la [7] Marcello Angheben « Sculpture romane et liturgie », dans P. PIVA (dir.), Art médiéval. Les voies de l’espace liturgique, Paris, 2010, p. 131-179 https://www.academia.edu/33763237/Sculpture_romane_et_liturgie_dans_P_PIVA_dir_Art_m%C3%A9di%C3%A9val_Les_voies_de_l_espace_liturgique_Paris_2010_p_131_179?email_work_card=title [8] http://www2.iath.virginia.edu/anderson/gaa/hortus.3v.html [9] Hieronymi Stridonensis presbiteri Opera omnia: post monachorum Ordinis S. Benedicti e Congregatione S. Mauri apud Garnier Frates et J.P. Migne Successores, 1846 p 873 https://books.google.fr/books?id=l9FQAAAAcAAJ&pg=PA873&dq=a+salomone+usque+ad+roboam&hl=fr&newbks=1&newbks_redir=0&sa=X&ved=2ahUKEwiC-b-RpNn1AhUrzIUKHb9-BzkQ6AF6BAgDEAI#v=onepage&q=a%20salomone%20usque%20ad%20roboam&f=false [10] Voir par exemple Isabelle Marchesin « Le corps et le salut : quelques aspects de l’illustration du Cantique des cantiques au Moyen Age », dans « Il Cantico dei Cantici nel Medioevo, Atti del convegno Internazionale dell’Università degli Studi di Milano e della Società Internazionale per lo studio del Medioevo Latino, Gargnano, 22-24 maggio 2006 p 287 https://www.academia.edu/6266380/Le_corps_et_le_salut_quelques_aspects_de_l_illustration_du_Cantique_des_cantiques_au_Moyen_Age