Le risque était grand de réduire Les chants de Maldoror à une sorte de Grand Guignol où l’on n’aurait trouvé que de vagues traces du livre de Lautréamont. Dans cet album, aucune notice biographique de l’auteur du livre du XIXe siècle ; Martin découvre le livre dans la bibliothèque de son père, un homme sans doute très atteint par la mort de sa femme (la mère de Martin), ce que Martin ne mesure pas. On ne peut jamais mesurer la douleur de l’autre. Et Martin n’a pas encore dix-sept ans ; l’oeuvre de Lautréamont va l’emporter bien plus loin qu’il ne l’imagine. Il va se laisser gagner par la violence du texte brut qu’il découvre. La réalité ne va plus lui suffire. Il n’a plus d’exutoire : la musique qu’il jouait dans son groupe, nommé Skeleton, va lui sembler bien fade. La société lui est insupportable. Il lui en faut plus. Aller jusqu'à la mort (pour rejoindre sa mère ?).
L’image est d’un noir profond, comme le texte de Maldoror. Les époques se mélangent, les éléments aussi. Tantôt c’est le texte de Maldoror, tantôt l’imagination de Martin, tantôt les paroles des autres, père, amis, mendiant, professeurs… Ici et là le rouge s’installe, ciel ensanglanté, flammes. Les auteurs réussissent à rendre sensible l’effet d’un tel texte incandescent sur un jeune homme affectivement ébranlé. Un jeune homme pour qui La charogne de Baudelaire semblera bien insipide…