Comme en 2012 et 2017, 2022 est l’occasion de se prêter à une réflexion sur les images de campagne des deux finalistes de la campagne, Emmanuel Macron et Marine Le Pen.
Et au-delà de la répétition du duel de 2017, 2022 se caractérise par un sentiment de paresse.
Cette paresse, elle apparaît à la fois entre les images de la première et de la seconde profession de foi, qui font dans la redite ; mais également avec ce que les deux candidats offraient déjà en 2017, ce qui tend à montrer que leur équipe de campagne n’a pas compris grand-chose, ou a eu la flemme de prendre le moindre risque par rapport à la communication et à l’image.
Tout d’abord, côté slogan. Chez Macron, on reste sensiblement sur le même diptyque entre les deux tours : « Nous tous » au centre, et en complément « Emmanuel Macron avec vous ». Un effet Bescherelle, où nous attendons la troisième personne du pluriel. Pour Le Pen, on passe d’un « Femme d’Etat » (en capitales) à un « Pour tous les Français ».
Macron joue donc une carte de rassembleur, dans une logique de prolongement de son poste présidentiel, et dans l’idée qu’il est un soutien, « avec [n]ous », libre à nous d’y accoler ce que l’on veut, la politique en temps de pandémie, les positions face à la guerre en Ukraine, ou… McKinsey.
Le Pen est plus individualiste, jouant sur une carte féminine (qu’aucune autre candidate ne revendique – Arthaud, Hidalgo, ou Pécresse), avant d’élargir le message – mais tout en restant au centre de l’attention : c’est elle qui est « pour tous », en dépit des visions hiérarchisantes du Rassemblement National.
Souvenez-vous : en 2017, au second tour, Marine Le Pen nous sortait un « Choisir la France » bien centré, elle-même se faisant incarnation personnifiée du slogan, sentiment renforcé par le « Marine Présidente » affiché en-dessous. Personnalisation, encore une fois. Emmanuel Macron, lui, nous scandait un « Ensemble la France ! » plus impératif qu’aujourd’hui.
Côté visuel, et suivant une tradition récurrente de la droite, les deux optent pour des tonalités bleutées. Au premier tour, ils étaient 4 dans ce cas, l’extrême-droite et Macron, puisque Valérie Pécresse optait pour des tonalités plus verdoyantes, très proches pour le coup de Jean Lassalle. A gauche, l’écologie faisait dans le vert – logique -, et les autres optaient pour du rouge, à l’exception d’un côté affiche de film en dégradé flashy chez Fabien Roussel, et Jean-Luc Mélenchon qui optait pour une profession de foi très sobre, à moitié remplie de texte et au blanc-bleuté dominant (hors cravate, rouge tout de même !).
Le ton bleu se maintient entre les deux tours, plus marqué chez Macron que chez Le Pen qui opte pour la photo d’intérieur sur fond blanc (mais habillée en bleu).
En écho aux phrases affichées, Macron se présente entouré, principalement par des personnes âgées. On discerne des rides et des cheveux gris pour une moitié des personnes qui l’entourent, choix potentiellement en raccord avec une partie de son électorat. « Nous » et « vous » donc, avec en plus un retrait par rapport à sa figure du premier tour – où 4 visages étaient cachés par les épaules et la tête du candidat. Macron n’est plus face à l’électeur avec un sourire en coin, il est entouré du peuple, professoral, actif, avec les mains visibles : l’une se devine tenant un micro, l’autre en évidence accompagne ce qu’on imagine être un discours ou une réponse avec son public proche.
Pour Le Pen, c’est un meuble et quelques documents dessus, aucune profondeur de champ, simplement sa personne en appui sur le meuble, le corps au centre de l’image depuis la hauteur des cuisses. C’est assez pauvre, visuellement comme stylistiquement, et par rapport à la sobriété de son image du premier tour, l’image perd en force.
Retour à 2017 une fois de plus : chez Macron, le choix d’image au premier tour présente de nombreuses similitudes, avec ses visages floutés derrière lui, la posture de face. Au second tour, on tombait en plein trip égocentré, avec ce visage juvénile mis en avant, pratiquement un doublon du précédent qui balançait un manque d’imagination flagrant à la face de son public. Le « moi je » jupitérien dans sa splendeur en devenir, avec son injonction à être « Ensemble » ! Chez Le Pen, le choix était similaire, avec un recul entre la première et la seconde image (à l’inverse de Macron donc pour la même campagne). Le sourire figé tant moqué du premier tour de 2017 a clairement été évité en 2022 pour le premier tour. Et s’il refait surface pour la seconde profession de foi, a minima est-ce avec un recul suffisant pour ne pas crisper son électorat avec un gros plan. La seconde image à l’époque proposait une bibliothèque en arrière-fond et une posture plus féminine, jupe à l’appui et mobilier boisé. Adieu donc l’attirail pour 2022, on garde la table et on opte pour une tenue plus simple et moins artificielle.
Sauf qu’au-delà, les deux images posent de nombreuses questions et des problèmes.
Marine Le Pen d’abord – qui choisissait un décor présidentiel convenu de bibliothèque, l’a délaissé, mais fait l’effet d’une pâle copie : après les figures de la République et leurs livres ouverts (Mitterrand) ou de pure décoration (Sarkozy) en 2017, sa posture agrippée au meuble de 2022 rappelle terriblement un président plus récent, un certain Emmanuel Macron, agrippé dans une symétrie cruche à son bureau avec ses deux téléphones derrière lui. Au mieux, on reconnaîtra au cadreur de Le Pen l’intelligence de ne pas avoir fait un jeu d’équilibre banal pour le regard, mais le sentiment de copie avec son rival est gênant. Plus gênant encore, sa main droite, et le pouce et l’index qui se rejoignent. Comme le « OK » de plongée sous-marine (sans jeu de mot), geste qu’on lui avait déjà reproché il y a quelques années car renvoyant à la droite suprémaciste et trumpiste américaine, entre autres. Le fait qu’elle l’affiche sur sa seconde profession de foi interroge, et il paraît largement probable qu’il s’agit d’un choix délibéré.
Emmanuel Macron, dont les choix visuels de ce second tour sont bien meilleurs, semble avoir abusé des logiciels Adobe. Au-delà des effets de profondeur de champ et du fondu bleu en bas de l’image, c’est surtout la clarté de l’image qui frappe, comme si la jauge avait été poussée à fond pour renforcer les traits du candidat. Finito le Macron juvénile de 2017 et son visage frais, voilà le Macron impliqué, dur, ferme – dans les rides du visage, dans la gestuelle figée. On ne vend plus le jeune premier, on propose l’homme concerné (notez que Le Pen en 2017 avait aussi eu sa cure de rajeunissement au second tour). En prime, la main mise en évidence porte l’alliance, et là encore on peut penser à la symbolique familiale et de rassemblement souhaitée. Plus concerné, plus professoral, plus âgé, comme un écho à la réflexion du débat, quand Marine Le Pen déclarait « On voit qu’on vieillit », et Emmanuel Macron de répondre « Vous ça ne se voit pas, moi j’ai peur que ça se voit beaucoup. » Pour son équipe de comm’, c’est certain.