Par Élie Blanc.
En septembre dernier, j’avais écrit un article qui dénonçait le discours de la BCE qui affirmait que l’inflation était transitoire alors que tout portait à croire qu’elle était partie pour durer. J’expliquais notamment qu’elle était contrainte de tenir ce discours car admettre le retour de l’inflation la contraindrait à remonter ses taux d’intérêts directeurs, ce qui pourrait porter un coup fatal aux finances publiques de pays comme la France.
Nous voilà maintenant quelques mois plus tard, et non seulement la situation n’a pas changé mais elle a été aggravée par la guerre en Ukraine, et les prix ont tellement monté qu’il est devenu impossible pour la BCE de continuer de prétendre que l’inflation est passagère. Début mars, elle a même fait savoir qu’une remontée des taux était possible courant 2022. La question qui se pose est donc de savoir comment les gouvernements européens et la BCE vont gérer cette nouvelle crise qui s’annonce, et quelles seront les conséquences pour les Français.
S’il est toujours compliqué de faire des prévisions en économie, il est possible malgré tout d’envisager les grandes tendances qui pourraient se dégager.
Une situation inquiétante
Le premier constat qui semble sauter aux yeux c’est que d’une manière ou d’une autre les Français vont devoir supporter des baisses du pouvoir d’achat.
Encore aujourd’hui, les indices de prix à la production (qui constituent généralement un bon indicateur de l’inflation à venir) continuent de progresser et il n’y a donc aucune raison de penser que l’inflation ralentira à court terme. Comme les revenus des Français ne sont pour l’essentiel pas indexés sur l’inflation et relativement rigides (par exemple on ne renégocie pas son salaire tous les mois), cette situation se traduira nécessairement par une perte de pouvoir d’achat.
Évolution mensuelle des indices des prix à la production dans quelques pays de l’OCDE.
Parallèlement, la BCE se verra contrainte de réagir en augmentant ses taux pour tenter de contenir l’inflation et de garder un semblant de crédibilité. Mais cette hausse ne sera pas indolore non plus, puisqu’elle détermine directement le prix de la dette publique. Concrètement, toute hausse de seulement 1 % des taux d’intérêt sur la dette publique entraîne un surcoût de près de 25 milliards d’euros. À titre de comparaison, cela représente quasiment le budget du ministère de la Défense, et si ce coût était directement compensé en impôts, il représenterait une somme de plus de 400 euros par Français et par an. Or, comme l’inflation est aujourd’hui autour de 5 %, on peut s’attendre à ce que les taux augmentent à terme non pas de 1 %, mais de 5 %. On peut donc probablement multiplier les montants précédents par cinq.
Le plus inquiétant est que cette hausse des taux sur le marché obligataire a déjà commencé, alors même que la BCE n’a toujours pas remonté ses taux d’intérêts directeurs :
Évidemment, la très probable remontée des taux sera aussi une mauvaise nouvelle pour les entreprises, pour qui investir va devenir plus onéreux. Quand on sait qu’il existe en France un grand nombre d’entreprises dites zombies, des entreprises qui auraient dû faire faillite mais qui ont profité des aides de l’État pour survivre pendant la pandémie, un tel changement de conjoncture économique pourrait précipiter leur faillite et porter un coup fatal au tissu industriel français.
Si tel devait être le cas, il faut s’attendre à une hausse significative du chômage et un ralentissement de la croissance. Nous serions alors confrontés à un scénario inquiétant où d’un côté les dépenses de l’État augmenteraient significativement (hausse du chômage, charge de la dette, faible croissance) alors que ses recettes diminueraient. Et pour faire face à ces problèmes, l’État ne pourrait pas avoir recours aux solutions utilisées pendant la crise sanitaire (politique monétaire accommodante pour financer des dépenses publiques incontrôlées).
Encore une fois, il est toujours un peu prétentieux de se risquer à des prévisions en économie, et le but de mon propos n’est pas de tomber dans un catastrophisme un peu facile. Mais il me semble qu’à l’heure actuelle l’essentiel des voyants sont au rouge et qu’il est important de comprendre que ni la BCE ni les gouvernements européens ne sont prêts à admettre la gravité de la situation dans laquelle ils ont plongé les pays européens.
Il faut en effet rappeler que la situation qui s’annonce est la conséquence directe de la politique menée par les gouvernements occidentaux durant la pandémie en vidant les caisses des États et inondant les marchés de monnaies dont la valeur s’effondre de jour en jour. En bref, on nous a promis de lutter contre le virus « quoi qu’il en coûte », mais maintenant on voudrait nous cacher le montant de la facture.
Le prix du quoi qu’il en coûte
Emmanuel Macron nous avait assuré que son choix de privilégier la santé sur l’économie était un choix « humaniste ». Aujourd’hui, un nombre croissant de personnes font les frais de ce choix en rencontrant des difficultés pour satisfaire des besoins élémentaires comme se chauffer, s’alimenter ou se déplacer du fait de l’explosion des prix de l’énergie et du blé. Demain, les finances publiques pourraient être dans un état si critique qu’il faudra peut-être choisir entre payer les médecins ou payer les policiers.
Est-ce vraiment cela l’humanisme ? Même si nous ne parvenons pas à des situations si extrêmes, il est évident que d’une manière ou d’une autre ces difficultés économiques se traduiront elles aussi en malades et en morts supplémentaires, car nous manquerons d’argent pour investir dans du matériel médical, former des médecins, financer la recherche…
Il est donc évident que la séparation entre économie et santé faite par Emmanuel Macron était un sophisme grossier. Non seulement les diverses restrictions de liberté au profit d’une illusoire sécurité sanitaire n’auront pas sauvé des vies, mais la mise sous perfusion de l’économie qui en a découlé en coûtera à l’avenir. Finalement, cette crise sanitaire aura été l’illustration parfaite du célèbre avertissement de Benjamin Franklin :
« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux ».