Trois fois, par trois fois Nina va dire le texte écrit par Kostia. Elle rêve de la ville, de la gloire, contre l’avis de sa mère et de son beau-père. Quitter la campagne et gagner Moscou, gagner l’attention des grands auteurs, du grand auteur, du « vrai talent ». Lui, Kostia, a tout investi dans son texte de fin du monde. C’est la dernière extinction. C’est l’urgence. Mais les plus anciens, sa mère, l’amant de sa mère, les adultes qui jouent aux cartes ou au loto, ceux-là se moquent, ne conçoivent pas cette urgence. Ils parlent d’argent ou de loisirs — c’est à cela qu’ils réduisent le jeu — alors que le monde va finir.
Pas de décor, une boite où nous sommes installés, où la fumée devient nuage, devient paysage, et disparaîtra. Les personnages parlent vite, on n’entend pas tout. On s’accroche à quelques images, au retour du texte de Kostia : tout ce qui était vivant va disparaître. Par trois fois le texte, et, dans le texte, par trois fois « toutes les vies », « le froid », « le vide », « la peur ».
Toute cette société qui s’agite devant nous va disparaître. On a beau se débattre, on est piégé.
Et la mort rôde depuis les premiers instants, l’oncle ne cesse d’en parler, de lui opposer un désir de vie que le médecin entretient avec la valériane. L’oncle finit la pièce dans un profond sommeil, témoin inconscient n’entendant rien du dernier dialogue entre Nina et Kostia, ne voyant pas Kostia plier le drap dans lequel Nina lui a redit son texte, ni Kostia déchirant lentement les textes qu’il ne publiera jamais. Tout cela est vanité.
La mouette est déjà morte et empaillée : c’est la fin d’une certaine forme de théâtre.
Mais ne dites pas que le théâtre à venir est désespéré. Il faut, quoi qu’il en coûte, créer du nouveau.
J'ai vu ce spectacle au Théâtre-Studio d'Alfortville (94) - photo Alex Mesnil