Ces peintres vivaient richement, on pourrait même dire trop richement si l’on croit aux vertus des affres et de l’adversité. Boldini trônait au sommet de cet édifice picturo-bourgeois. La dernière salle de l’exposition notamment, où des demi-déesses ensevelies sous les soies et les chinchillas vous écrasent de leur aisance de classe, vous renverra à l’humilité d’un Petit Chose. A part peut-être quelques divas de Hollywood, princesses de l’or noir et maîtresses des vallées de silicone nulle femme aujourd’hui ne trouverait couturière pour assembler tant d’opulence.
Mais qu’en est-il précisément de l’oeuvre de Boldini dans un contexte tellement éblouissant qu’on finit par ne plus trop voir l’inspiration de ses tableaux ? Le plus italien des peintres français et le plus parisien des peintres vénitiens a commencé au goût du jour, par une oeuvre quasi-pointilliste ou vermeerienne, sur des thèmes alors à la mode comme celui du retour de la pêche ou de la vie rurale. Sa maestria technique n’a jamais fait de doute, il fut d’emblée l’égal d’un Meissonnier pour exceller dans les détails et le traitement raffiné des coloris.
Guidé dans les salons par des maîtresses aussi belles qu’il était trapu il multiplia ensuite les commandes pour devenir le grand portraitiste de son époque. Sa technique se fit un peu répétitive : cerner parfaitement le visage en l’embellissant au besoin ; magnifier les tenues et envelopper le tout de traits de pinceaux nerveux, saccadés et virevoltants pour dynamiser l’ensemble et lui conférer plus d’originalité.
Cela donne beaucoup de morceaux de bravoure, quelques toiles impressionnantes, notamment et curieusement de rares portraits d’hommes comme celui du peintre anglais Hodgson qui nous sert d'illustration. Mais cette juxtaposition finit par lasser, on achève un peu écoeuré ce parcours des élégances et des vertus fragiles du paraître.
Certes, sa technique recèle une part d’audace. On anticipe dans les envolées abstraites qui entourent ses modèles l’énergie qui caractérisera peu après les Futuristes italiens et même quelques décennies plus tard les patouilles épaisses d’un Georges Mathieu.
Mais, bon sang, qu’il est dommage qu’un tel maître en technique n’ait pas davantage profité de son habileté pour tenter de plus franches ruptures ou s’engager dans des essais tâtonnants ! Quand on note les années de production de tous ces tableaux on ne peut s’empêcher de penser aux explorateurs qu’étaient déjà les Fauves, les Nabis et même les Cubistes.
Bon, cela écrit, dans le contexte un peu précieux de cette année du souvenir proustien, on appréciera à leur juste énergie ces brillants témoignages d’une fantaisie aussi exubérante qu’une meringue peut être enflée. Bonne visite …