J’ai dans mon canoë les colombes de Noé
la lenteur est aussi belle que la vitesse
il y a des moments où elles se superposent
la rivière déjà vient au-dessus du torrent
tels deux lits frissonnants
----- le canoë tourne comme
une aiguille de boussole cherchant à retrouver
le courant traversé
au bord du suspens. L’arrêt fait un danger
plus grand que l’allant, d’expectative, d’indécision
----- puis la nouvelle tentative
(p. 9)
On goûte la droiture d’une piste du verbe
on atteint des sommets d’angoisse, des abîmes
on pousse sur les rimes, on oriente
sa volonté dans l’abandon des habitudes
on engage tout le corps en langage dans le passage
la lenteur vous précipite dans un autre monde
vous devenez fusée flèche sonde
comme Glaucus devenu dieu des eaux
après avoir goûté une herbe
(p. 13)
On pense par paliers par traits, suspens et
accélérations on évite de rester insérés
dans quelques obstacles obstinés
on ne bavarde plus, on agit à l’instinct
on a pour seule science l’expérience
l’expérience est en cours le corps va jouer sur du velours
la rivière dans le creux des montagnes
de pierre. Un dernier jet
puis la rivière s’élargit
une colombe refait à l’inverse le trajet
(p. 19)
Le soleil décline je vais à la rive
le ciel est une roue
je sors du canoë le monde s’ébroue
Mon journal est le moyen de traiter les malheurs et
le bonheur,
un poème le traverse en diagonale
(p. 48)
Est-ce que ça va cette écriture ?
une longueur et des coupures
des barrages des ruptures
de calmes plages des précipitations
des remous des sauts des retours
oui, ça va, c’est bien ça, canoë
qui verse et se renverse
On s’est mouillé on est sauvé
(p. 57)
Claude Minière, La Descente de la rivière en canoë, coll. Déplacement, éditions Invenit, 2022, 60 p. 13€.