(Anthologie permanente), Alejandra Pizarnik, Oeuvres •

Par Florence Trocmé


Les éditions Ypsilon ont fait un immense travail pour faire connaître en France l’œuvre d’Alejandra Pizarnik, avec la publication de 14 volumes, à ce jour. Elles proposent aujourd’hui un très élégant petit volume qui regroupent plusieurs œuvres de la poète en regroupant toutes les œuvres publiées de son vivant « 36 ans de vie et 15 ans de poésie » et en les complétant par un portrait composé par Liliane Giraudon.
Le livre reprend les titres La dernière innocence (1956), Les aventures perdues (1958), Arbre de Diane (1962), Les travaux et les nuits (1965), Extraction de la pierre de folie (1968), La Comtesse sanglante ( 1971) et l’Enfer musical (1971).
Extraits
NUIT
   Quoi ? toujours ? Entre moi sans cesse et le bonheur !
   Gérard de Nerval
Peut-être que cette nuit n’est pas la nuit,
ce doit être un soleil horrible, ou
autre chose, ou n’importe quoi...
Que sais-je ! Manquent les mots,
manque la candeur, manque la poésie
lorsque le sang pleure, pleure !
Je pourrais être si heureuse cette nuit !
Si seulement m’était donné de palper
les ombres, d’entendre des pas,
de dire « bonne nuit » à celui
qui promènerait son chien,
je regarderais la lune, je dirais son
étrange lactescence, je trébucherais
sur des pierres au hasard, comme ça se fait.
Mais il y a quelque chose qui déchire la peau,
une furie aveugle
qui coule dans mes veines.
Je veux sortir ! Cerbère de l’âme :
Laisse, laisse-moi traverser ton sourire !
Je pourrais être si heureuse cette nuit !
Il reste encore des rêveries tardives.
Et tant de livres ! Tant de lumières !
Et mes années si brèves ! Pourquoi pas ?
La mort est loin. Elle ne me regarde pas.
Tant de vie, Seigneur !
Pourquoi tant de vie ?
(p. 21-22)
NOMS ET FIGURES
La beauté de l’enfance sombre, la tristesse impardonnable parmi poupées, statues, choses muettes, favorable au double monologue entre moi et mon autre luxurieux, le trésor des pirates enterré dans ma première personne du singulier.
On n’entend rien d’autre qu’une musique et laisse, laisse la souffrance qui vibre en formes traîtresses et trop belles arriver au fond des choses.
Nous avons tenté de nous faire pardonner ce que nous n’avons pas fait, les offenses fantastiques, les fautes fantômes. Pour la brume, pour personne, pour les ombres, nous avons expié.
Ce que je veux, c’est célébrer celle qui possède mn ombre : celle qui dérobe au néant noms et figures.
(p. 291)
Alejandra Pizarnik, Œuvres •, traduction Jacques Ancet, Ypsilon, 2022 (parution le 15 avril), 368 p., 20€ ?
Sur le site des éditions Ypsilon :
Alejandra Pizarnik est née près de Buenos Aires le 29 avril 1936, à Avellaneda, dans une famille d’immigrants juifs de Galicie, arrivée en Argentine en 1934. Elle fait ses études sans vraiment trouver sa voie : de la faculté de Philosophie à celle des Lettres, de la faculté de journalisme à l’atelier de peinture de Juan Batlle Planas. Elle ne veut, elle ne peut qu’écrire. À 19 ans, elle publie son premier recueil de poèmes. Reconnue, admirée, amie de Jorge Luis Borges, Silvina Ocampo Bioy Casares, Olga Orozco, elle mène une vie littéraire et sociale intense, mais entrecoupée de hauts et de bas, et collabore à la fameuse revue SUR de Victoria Ocampo.Entre 1960 et 1964, elle vit à Paris où elle est pigiste pour un journal espagnol et écrit dans plusieurs journaux et revues. Elle se lie d’amitié avec André Pieyre de Mandiargues, Octavio Paz, Julio Cortazar, Yves Bonnefoy, Henri Michaux… Elle traduit ses écrivains préférés : Artaud, Michaux, André Pieyre de Mandiargues, Breton, Éluard… Rentrée à Buenos Aires, sa vie se déroule entre les quatre murs de son petit appartement et les rues de la ville. Elle publie alors ses ouvrages les plus importants. En 1968, elle obtient une bourse Guggenheim et fait un bref séjour à New York. Deux tentatives de suicide (en 1970 et 1972) et un séjour à l’hôpital psychiatrique Pirovano de Buenos Aires, précèdent sa mort survenue le 25 septembre 1972.