Il est souvent de bon ton de s’auto-flageller sur la puissance perdue de la France, sa perte de prestige et d’influence sur la scène internationale. En réalité, la France pourrait bien faire partie des champions du futur, de ceux à qui le chaos finit par profiter ! C’est en tous cas la perception du géopolitologue américain Peter Zeihan, dont Robert Salmon et Rémy Salmon partagent l’analyse dans leur ouvrage de prospective « Sésame pour l’avenir » :
« Le monde selon Zeihan
Le géopolitologue américain, Peter Zeihan, cherche – souvent avec ingéniosité – à tracer les grandes lignes du futur en croisant les données géographiques, démographiques et la politique internationale. Selon lui, le chaos est bien plus naturel que l’ordre actuel, lequel ne sera bientôt qu’une parenthèse historique. Suivons le cheminement de sa pensée…
Avec les accords de Bretton Woods (1944), les États-Unis initièrent l’ère d’un ordre mondial unique, reposant sur la stabilité des échanges internationaux et sur des marchés commerciaux ouvertes, dont l’effondrement – selon Zeihan – est imminent. L’Américain identifie les pays qui – selon lui- seront les mieux armés pour affronter le nouveau désordre mondial.
Les champions du futur seront en mesure de créer de la richesse à l’intérieur de leurs frontières : il leur faudra de vastes plaines, de riches terres agricoles, des rivières pour les transports de marchandises, ainsi que des frontières naturelles importantes pour repousser les invasions. « Cette situation naturelle privilégiée est rare dans le monde, explique Zeihan, elle ne concernait que quarante pays avant la Seconde Guerre Mondiale, puis la domination américaine fut instaurée. »
Aussi, quelles seront les nations les mieux armées pour affronter l’ère de l’éclatement chaotique ? Surprise… Zeihan sort la France de son chapeau ! Après les États-Unis, le Japon et l’Argentine, et avant la Turquie. Mais pourquoi la France ? Selon lui, car :
- C’est un pays agricole.
- Elle fut à l’origine de l’UE pour des raisons politiques et stratégiques plutôt qu’économiques. Si le marché européen est dissous, cela ne représentera, selon lui, qu’une perte de 15% à 20% de son PIB.
- Aucune menace ne pèsera sur sa sécurité ; dans le même temps, elle a les deuxièmes armée et marine les plus puissantes d’Europe (après la Russie).
- Elle peut se procurer assez facilement des énergies dans ses anciennes colonies (Zeihan semble faire l’impasse sur l’avènement d’un nouvel ordre énergétique).
- Une partie de ses chaînes de production industrielle sont nationales (ici aussi, le fin stratégiste devrait revoir sa copie).
Et qui, selon lui, seraient les perdants du nouvel ordre mondial ? Plus ou moins le reste de la planète, excepté l’Asie du Sud-Est, mais surtout les grandes réussites du système de Bretton Woods : l’Allemagne et la Chine. »
Après avoir partagé l’analyse de Zeihan, Robert Salmon vient apporter ses propres vues :
« L’influence internationale de la France ne cesse de diminuer, on ne peut être et avoir été ! Cependant, si tout n’est pas rose, tout n’est pas sombre non plus. Face aux géants que sont la Chine et les États-Unis, notre pays conserve une place privilégiée, peut-être parce que notre statut de puissance moyenne exclut a priori les arrière-pensées dominatrices. La France se maintient encore : elle donne le la, avec l’Allemagne, dans l’un des espaces économiques les plus importants au monde, elle est membre du Conseil de sécurité des Nations unies et est une puissance nucléaire. Néanmoins, elle est terriblement lestée par une économie en berne et des déficits endémiques, notamment en raison du poids des dépenses publiques…
Plus que le libéralisme, l’ennemi de la France est son étatisme… »
La France aurait-elle finalement plus d’atouts qu’elle ne le pense ? L’exercice de prospective présente des risques d’erreurs élevés et il est toujours facile, a posteriori, de pointer des erreurs qui semblent désormais grossières. Mais cet exercice a le mérite de nous proposer des hypothèses de travail stimulantes et d’élargir les scénarios potentiels.