Pour lui, comme pour Reverdy, seules sont valables les images qui ressemblent le plus tout en ressemblant le moins, c'est-à-dire celles qui créent le plus intensément l'impression de réalité sans jamais reproduire l'existant réel à la façon dont un dessinateur fait coïncider une figure avec son calque [...]. Pour Bousquet, la ressemblance poétique devait demeurer " abstraite ". Il disait que s'il y a une ressemblance qui ne ressemble pas, c'est que toutes les choses ont en commun le même regard.
René Nelli, Joë Bousquet, sa vie, son œuvre, Albin Michel, 1975, p. 162.
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" Le jour se lève, pénètre dans ma chambre à travers les volets clos et cette demi-lumière couvre mes yeux d'une ombre protectrice et fait apparaître des figures dans mon regard, ainsi les branches basses changent en miroir la transparence de l'eau morte. La vie est autour de nous, ce que nous sommes nous en sépare. " Joë Bousquet, La Marguerite de l'eau courante, Œuvre romanesque complète III, Albin Michel, 1982, p. 214.
" ... montrer que la poésie n'est pas dans le poète mais qu'elle est un attribut caché de l'objet. " Journal dirigé, loc. cit., p. 242
" On discerne mieux la vie des choses quand on a pénétré dans l'une d'elles un secret de mort. L'air que je respirais avait des frémissements d'oiseau. Les chauve-souris étaient les aveugles jouets d'une âme qui palpitait dans l'ombre. L'eau était amoureuse de l'eau. "
Joë Bousquet, Contes du cycle de Lapalme, ibid., p. 52.
" Le sens des choses est dans les choses. " Journal dirigé, ibid., p. 250
" À force d'oublier qui je suis-je découvre enfin ce que les choses sont sans le savoir.
À peine ai-je écrit cette phrase [...] que j'ai vu changer imperceptiblement les choses qui m'entouraient, comme si un espace sentimental s'était ouvert entre elles, séparant par un abîme invisible l'objet qui venait du sol et sa forme qui montait du jour. La lampe devenait étrangère au livre qu'elle éclairait comme si l'étendue entre l'un et l'autre, était la disparition d'une immensité remontée dans le ciel. Cependant que, sur une miniature, dressée dans le rond lumineux d'un abat-jour, mes yeux retrouvaient la mémoire du cœur. Sur la pendulette qui me montrait son cadran, je considérai longuement, sans le reconnaître, le chiffre que la longue aiguille effleurait, puis, après un effort pour me ressaisir, toutes les indications numériques circulairement disposées, comme si elles s'étaient mutuellement annulées. Cette impression m'absorba assez longuement. Sur le cadran gradué, mon regard fuyait comme un panier rempli d'eau. J'étais étonné comme un joueur, devant une roulette où le numéro gagnant s'éclipserait après avoir précipité les autres dans l'oubli. Celui qui regarde trop les chiffres de la montre ne sait plus lire l'heure. Ainsi se perdrait-il dans la contemplation d'un cryptogramme, s'il considérait ces caractères pour ce qu'ils sont, et non pour ce qu'ils sont sans le savoir. " La Marguerite dans l'eau courante, ibid., p. 292-93
" Poésie, langue naturelle de celui que nous sommes sans le savoir. " Ibid., p 243
" Devant le visage des jolies femmes, jadis, il brillait un voile que le temps a déchiré. Les objets aussi, un toit, une mare, s'enveloppaient d'une lumière que je voulais pénétrer comme si elle avait été le rayonnement spirituel de cet objet. Cette lumière était la manifestation du temps et de l'espace, comme ce sourd accent qui retentit maintenant dans certains faits très simples et qui, plus que les beautés de jadis me requièrent, comme s'ils étaient la vibration d'un message indéchiffrable, la réverbération surprenante dans une lame d'épée du soleil où tout l'après-midi était également baigné. " Ibid., p. 239
" Il faut qu'un fait se réfléchisse dans le contenu de notre conscience et non dans l'idée du moi qui la contient. " Journal dirigé, loc. cit., p. 330
" Le temps et l'espace ne sont pas dans l'âme ce qu'ils sont dans la conscience psychologique. Ils sont dans notre âme la vie de ce que nous voyons et la promesse de notre corps. Ils y sont, dans mon âme leur être et non le mien. Ainsi, les objets et les personnes qu'ils inventent sont-ils la vibration même de mon existence et font-ils ma pensée transparente aux sources de ma vie. "
La Marguerite de l'eau courante, op. cit., p. 244
" ... Des voitures roulant sur la chaussée, il s'élevait une espèce de mélodie triste que les consommateurs écoutaient, la tête un peu penchée, absorbés comme si ce qu'ils entendaient les avait fait rêver de ce qu'ils voyaient. " Le Meneur de lune II, Orc II, p. 173
" ... la réalité entre sans nous dans la maison de nos paroles, et c'est dans ce qu'elle crée hors de nous qu'elle pense nos pensées. " La Tisane de sarments, ORC I, p. 309
" Je ne peux plus ouvrir la bouche, je suis voué au silence, ou bien, le front baissé, le vent écoute en moi le vent, c'est la pluie qui fouette la pluie, l'odeur de menthe respire les menthes, la fuite du temps soupire doucement dans l'espoir que je forme d'entrer enfin dans un temps sans bords. " Ibid., p. 374
" Il faudrait que l'esprit prenne sa lumière dans les choses. " Ibid., p. 313
notes choisies par Jean-Nicolas Clamanges