Non, le scrutin ne se jouera pas autour de l’identité et de l’immigration, mais sur les questions sociales.
À moins de deux semaines du premier tour de la présidentielle – période pendant laquelle habituellement les tendances se solidifient –, bornons-nous à prendre l’empreinte du paysage au plus près d’une certaine «réalité», juste de quoi retourner dans le «cercle de la raison». Si la campagne a démarré tardivement en raison de la crise sanitaire puis de la guerre en Ukraine, ce que la médiacratie dominante nous avait promis depuis six mois a depuis été essoré par les faits, comme si la dure vérité de la vie des Français avait repris le dessus. Non, le scrutin ne se jouera pas autour de l’identité et de l’immigration, ni à partir d’une vision d’exclusion adossée aux maudites thématiques nauséeuses d’une France rance et xénophobe, fantasmée et repliée sur elle-même.
Pouvoir d’achat, retraites, RSA, pauvreté, avenir industriel, énergie… En quelques semaines, comme cela était pourtant prévisible, tout a changé de paradigme. Loin des idioties et des immondices qui ont tourné en boucle, les grandes questions sociales sont bel et bien restées, dans le tréfonds des consciences populaires, les priorités des citoyens. Des priorités absolues.
Autant le dire, l’entrée par la petite porte d’Emmanuel Macron dans l’arène électorale n’a pas bousculé ce scénario, bien au contraire. La brutalité de ses réformes envisagées pour un nouveau quinquennat a confirmé cette clarification économique et sociale: à droite toute, régression à tous les étages! Dans cette nouvelle séquence d’une extrême brièveté d’ici au 10 avril, mais fondamentale, le débat se dispute désormais sur une tout autre orientation: celle des plaies sociales béantes qui menacent de disloquer celles et ceux qui promettent encore plus de sang et de larmes à un peuple déjà atomisé par la souffrance. Un moment potentiellement dangereux pour l’hôte de l’Élysée. «La marche triomphale qui s’esquissait il y a quinze jours semble plus chaotique», écrit dans sa dernière livraison la Fondation Jean-Jaurès à propos du président-candidat, avant d’ajouter : «Ce n’est pas encore un doute. Tout juste une ombre. Mais déjà l’ombre d’un doute.» Et ce doute ne concerne pas qu’Emmanuel Macron…
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 30 mars 2022.]