Depuis 2000, Vladimir Poutine semblait avoir redonné une certaine grandeur à une Russie appauvrie et déclassée suite à la chute de l’Union Soviétique dans les années 90. Il a permis une augmentation du niveau de vie de sa population et redonner une voix à la Russie dans le concert des nations, en défiant l’Occident en Syrie et déjà en Ukraine avec la guerre dans le Donbass et l’annexion de la Crimée en 2014. Mais, pour le directeur de l’IRIS, Pascal Boniface, avec ce nouveau front ouvert sur toute l’Ukraine il vient d’effacer tout cela et de remettre en cause, y compris par rapport à l’intérêt national russe, toutes les conquêtes qu’il avait faites au cours de ces vingt dernières années. Explications.
Tout d’abord, la conquête du pouvoir par la prise rapide de Kiev que souhaitait Poutine à travers une guerre éclair demeure un échec. Malgré les peurs, les souffrances et les morts, l’envie d’indépendance et de démocratie des Ukrainiens, sous-estimées par Poutine, mettent face aux troupes Russe une importante résistance civile et militaire qui ralentit leur avancée. Une résistance qui d’une façon ou d’une autre devrait s’inscrire dans le temps. Pascal Boniface affirme qu’il y aura un sentiment antirusse très profond en Ukraine et c’est bien sûr contraire aux objectifs de Poutine. Par sa supériorité militaire, la Russie va sûrement dominer ce conflit, mais pour autant elle a définitivement perdu le soutien des Ukrainiens. Pour Max Bergmann, directeur d’étude au, Center American Progress, même si les forces russes prennent brusquement Kiev ou détruisent militairement l'Ukraine, de telles victoires tactiques sur le champ de bataille ne feront pas grand-chose pour aider la Russie à gouverner l'Ukraine.
De plus, suite au déclenchement de la guerre, le président Ukrainien Volodymyr Zelensky a demandé l’adhésion de son Pays à l’Union Européenne. Il a été suivi par la Moldavie et la Géorgie. Ce qui devrait déboucher sur des coopérations renforcées. Alors que de leur côté la Suède et la Finlande semblent se rapprocher de l’OTAN avec le soutien de leurs populations. Plusieurs pays occidentaux ont aussi décidé d’apporter un soutien militaire à l’Ukraine en livrant du matériel et des armes dites de défense. Dans l’Observer Research Fondation, le chercheur Indien Harsch V Pant estime que l'évolution la plus frappante, cependant, s'est produite en Allemagne, la puissance économique européenne décidant maintenant d'augmenter de manière significative ses dépenses de défense (…). Le chancelier Olaf Scholz, soutenu par le parlement, prévoit de les monter à plus de 2 % du PIB dans l’avenir. Cela afin de s’adapter à l’augmentation des risques de conflits en Europe et ne plus dépendre que des Américains. L’Allemagne a même décidé de changer de doctrine en permettant des aides militaires dans des zones de conflits. La livraison à l’Ukraine de plusieurs milliers de missiles aériens et antiaériens est une première pour le pays depuis 1945. Cela se produit malgré la forte dépendance de l'Allemagne à l'égard du gaz russe, et le message est indubitable que l'histoire est vraiment de retour en Europe complète Harsch V Pant. Plus largement la construction d’une défense européenne souhaitée depuis un moment par le président Français Emmanuel Macron, face à une partie des pays de l’Union Européenne hésitante, est maintenant à l’ordre du jour.
Vladimir Poutine voit là aussi son action avoir les effets inverses qu’ils recherchaient avec des positons de l’Union Européenne et de l’Otan qui se voient renforcées en ce début de conflit en Europe. La seule avancée potentiellement notable qu’a obtenue à ce stade Poutine c’est la proposition de Zelensky, dont il n’a pas fait suite, qui s’est dit prêt à ne plus adhérer à l’Otan en échange d’un compromis avec les Russes . Mais l’objectif de Poutine demeure le contrôle politique complet de l’Ukraine.
Et puis les États-Unis ainsi que les membres de l’Union Européenne en lien avec d’autres pays occidentaux ont décidé de prendre collectivement des sanctions financières massives sans précédent, mettant la Russie et ses habitants face à de graves difficultés économiques. Des sanctions qui visent particulièrement les oligarques, fragilisant une partie de leur fortune. Des sanctions qui concernent aussi les domaines culturels, sportifs et touristiques.
Concrètement, les Russes ont des difficultés pour retirer de l’argent. Ils voient des grandes entreprises emblématiques comme Apple ou McDonald fermer leurs magasins. Ils ont des difficultés pour voyager dans les pays occidentaux et leurs équipes sportives sont écartées des complétions internationales. C’est ce que Pascal Boniface appelle le prix de l’isolement.
La guerre est donc en passe d’affaiblir la Russie en sa qualité de puissance mondiale. Selon Max Bergmann les sanctions économiques feront tout simplement de la Russie un pays plus pauvre et la Russie sera confrontée à une énigme. Elle devra soutenir son économie et soutenir une guerre incroyablement coûteuse. À plus long terme, elle devra faire des choix budgétaires difficiles entre maintenir l'économie à flot ou investir dans la reconstruction de ses forces armées.
Enfin, et c’est sûrement un des éléments internes les plus importants, les Russes semblent divisés sur cette guerre et ont peur de ses conséquences dans l’avenir. Dans les grandes villes, les jeunes ont du mal à comprendre et soutenir le conflit. Nombreux sont les personnes qui ont le sentiment de faire un bond en arrière témoigne l’écrivain Emmanuel Carrère suite à un reportage à Moscou . Comme un nouveau rideau de fer qui tomberait sur le pays.
Ajouter à cela de plus en plus de familles qui perdent chaque jour un enfant ou un parent dans cette guerre. Plusieurs milliers de soldats Russes seraient déjà morts dans les quinze premiers jours des combats. Pascal Boniface souligne que les gens n’aiment pas voir leurs enfants mourir à la guerre surtout sur des théâtres extérieurs et encore moins lorsqu’il s’agit d’un pays dont ils se sentent proches avec lequel ils peuvent avoir des liens amicaux ou familiaux comme l’Ukraine.
En plus d’avoir sous-estimé la détermination des Ukrainiens et des Occidentaux, Poutine semble ne pas avoir pris des leçons de la propre Histoire de son pays. Il y a pourtant comme un souvenir de la guerre d’Afghanistan qui refait surface. Ce conflit qui a duré 10 ans entre 1979 et 1989 et qui a participé, par son coût, à l’effondrement de l’URSS en 1991.
Poutine a donc ébranlé le monde et sûrement ses propres perspectives politiques avec l'invasion de l'Ukraine. Mais pour Harsch V Pant si la guerre froide ne s'est pas terminée en 1990, cette guerre ne se terminera pas non plus avec l'épave de l'Ukraine. Elle a déjà jeté les bases d'un nouvel ordre mondial qui ne plaira probablement pas à Poutine. Après tout, la tactique sans stratégie est le bruit avant la défaite.
L’avenir même de la position de Vladimir Poutine dans son pays est désormais interrogé, même si celui que l’on appelle l’homme fort du Kremlin pourrait encore le rester pendant longtemps au vu de sa position dominante en Russie et du musèlement de toutes voix critiques au régime. Certes pour Max Bergman, ni le mécontentement du public ni l'angoisse des oligarques ne feront tomber le régime comme par magie. Mais la guerre téméraire de Poutine a érodé deux piliers majeurs qui le soutiennent.
Sources :
https://www.iris-france.org/165299-poutine-attaque-lukraine-et-fait-perdre-la-russie/
https://www.americanprogress.org/article/putins-quagmire-russias-invasion-of-ukraine-is-a-strategic-disaster-for-the-kremlin/
https://www.orfonline.org/research/ukraine-russia-war-vladimir-putins-big-gamble/
https://www.nouvelobs.com/russie/20220309.OBS55450/a-moscou-les-russes-face-au-vertige-de-la-guerre-le-grand-reportage-d-emmanuel-carrere.html
Dernier week-end des vacances. C’est la rentrée et nous nous l’affrontons tous en traînant nos galoches, ne sachant pas trop de quoi elle sera faite. Il y a un an, nous avions encore l’espoir que les problèmes et autres difficultés liés au Covid-19...
LES BRÈVES