- Vous vous intéressez à Sissi, je lui demande pour engager une conversation.
- C'est sur ce bateau que Sissi est montée juste avant de rendre son dernier souffle. Mon prénom est Élizabeth.
Jean Godewaersvelde doit démarrer un roman. Il fait signe à Élizabeth de Grangeville pour l'avertir que des skaters déboulent derrière elle. Elle fait alors un pas de côté et est bousculée brutalement par un pithécanthrope à roulettes.
Pour se remettre de ces émotions ils prennent un verre à bord du bateau, le Genève, vapeur transformé en buvette. Après qu'elle se fut assise sur un banc, un livre avait glissé de son sac et il le lui avait tendu, découvrant le titre: Sissi.
Confidence pour confidence, elle écrit également, à propos de Sissi, sur laquelle elle est intarissable. À partir de cette rencontre, ils hantent ensemble les grands hôtels que l'impératrice autrichienne a fréquentés autour du lac Léman.
Dans ce roman, il y a double identification, celle de l'auteur avec son alter ego, dont le patronyme s'orthographie aussi difficilement que le sien, et celle de son héroïne, d'origine hongroise, qui porte le même prénom que Sissi.
Les deux font la paire et se donnent la réplique pour le grand bonheur du lecteur. Au fond ils ne se sont peut-être pas rencontrés par hasard, tant il est vrai qu'il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous, comme disait Eluard.
Dis-moi qui tu cites, je te dirai qui tu es. Jean cite également Brel, Brassens, Hemingway, Andersen, Camus, Giono ou Bazin, avec lequel il est devenu ami à la fin de sa vie, comme - c'est un pur hasard - ce fut le cas de l'auteur.
D'un premier mariage, Élizabeth a eu Dorian. Pour lui assurer sécurité, elle s'est remariée, non pas avec Jordan, qui était pour elle comme un frère et pour Dorian comme un père, mais avec Grangeville, empereur de l'immobilier...
Ce qu'il advint de Rodolphe, le fils de Sissi, est comparable à ce que devient Dorian: le bonheur pour un enfant n'est pas dans la sécurité mais dans l'amour qu'on lui porte. Une des raisons pour lesquelles Élizabeth s'identifie à Sissi.
Dans un cas comme dans l'autre, l'insouciance, aussi bien au sens propre qu'au figuré, sera assassinée de ne pas l'avoir compris. La consolation de Jean sera d'en tirer matière à roman et d'en faire une fin romantique sinon romanesque.
Francis Richard
L'ombre de Sissi - L'insouciance assassinée, Serge Heughebaert, 184 pages, Slatkine
Livre précédent à L'Âge d'Homme:
Traces (2017)