« Le privé est politique » expliquait récemment la candidate malheureuse à la primaire des écologistes Sandrine Rousseau au micro du web-magazine féminin-féministe Madmoizelle, « privé » signifiant ici vie privée, vie personnelle. En vertu de quoi elle voudrait voir reconnaître un délit de non-partage des tâches domestiques au sein des couples, écoféminisme de combat oblige.
La nouvelle idée de Sandrine Rousseau
On pourrait évidemment se dire que la propension de Sandrine Rousseau à proférer des âneries pour se faire remarquer la disqualifie complètement et que c’est pure perte de temps que de s’intéresser à ses multiples sorties délirantes.
Quoiqu’économiste et ancienne vice-présidente de l’Université de Lille, ne préfère-t-elle pas « des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR » ? N’a-t-elle pas tenté de se victimiser en tant que femme via la dénonciation d’une altercation sexiste purement imaginaire dont son concurrent de la primaire écologiste Éric Piolle se serait rendu coupable ? Une fois éjectée de l’équipe de campagne du candidat EELV Yannick Jadot qu’elle n’avait cessé de critiquer, n’a-t-elle pas expliqué avec son sens travaillé de la nuance que cela la déprimait « de faire de la politique dans des groupes du Ku Klux Klan », c’est -à-dire au sein de groupes écolos trop blancs à son goût ?
Il faut croire que les hautes instances d’EELV ne lui en veulent pas trop et/ou qu’elles comptent capitaliser sur ses éclats médiatiques à répétition puisqu’elles ont validé sa candidature, ou plutôt son parachutage législatif de juin prochain, dans une circonscription parisienne où les adhérents avaient pourtant déjà exprimé leur choix pour une autre candidate implantée de longue date. C’est fou combien la « politique autrement » des féministes conscientisées ressemble comme deux gouttes d’eau à la politique de toujours…
Mais c’est précisément en raison de ses ambitions législatives qu’il est préférable de prendre conscience de ce qu’elle a à dire, même si sa proposition sur le délit de non-partage des tâches domestiques n’engage pas EELV, comme elle le précise à la fin de l’entretien (vidéo, 58″) :
Postulat de base : ce sont exclusivement les femmes qui portent toute la « charge mentale » au sein des couples, ainsi que le dessinait Emma (dont je vous ai déjà parlé à propos de la réforme des retraites) dans une BD des plus instructives. Qui planifie tout dans la famille ? Qui pense qu’il va falloir racheter du shampoing, débarrasser la table, lancer une lessive, signer les carnets de correspondance ? Les femmes, toujours les femmes, seulement les femmes ! Encore une criante inégalité homme femme à redresser d’urgence !
Donc voilà : tout comme il est possible de dénoncer pénalement les violences physiques faites aux femmes au sein des couples, il faudrait instaurer un délit de non-partage des tâches ménagères. Autrement dit, le non-partage en question est une forme de violence exercée contre les femmes et à ce titre, il doit subir sa sanction régalienne.
Le privé est politique : un postulat dangereux et inapplicable
On ne sait pas trop comment Sandrine Rousseau envisage la prise en compte de ce délit. Les femmes seront-elles encouragées à se rendre au commissariat le plus proche pour dénoncer leur conjoint pour non-partage des lessives et du repassage ? Une enquête impliquant les témoignages des enfants et des amis ou voisins du couple sera-t-elles diligentée ? Bonjour la délation et l’inquisition.
Ou bien les couples devront-ils à l’avenir déposer une déclaration de partage des tâches en même temps que leur déclaration de revenus – un peu dans la veine de la comptabilité RSE des entreprises – et s’attendre à des contrôles de « bons comportements ménagers » comme il y a des contrôles fiscaux ?
Autre point délicat, qu’appelle-t-on partage des tâches ménagères et quelles tâches incluer exactement ? Une étude de l’Observatoire des inégalités publiée en septembre dernier ne s’intéressait qu’à trois d’entre elles, trois tâches dont on suppose en général qu’elles concernent surtout les femmes : qui prépare le repas du soir, qui fait les courses et qui passe le plus souvent l’aspirateur.
On peut cependant songer à beaucoup d’autres obligations domestiques qui impliquent aussi bien les hommes que les femmes : qui s’occupe du budget, de la paperasse, des impôts et de la sécu ? Qui s’occupe des poubelles, du bricolage, du jardin, de la voiture, des vélos et des ordinateurs ? Qui dépose les enfants à l’école, qui va aux réunions parents-profs, qui accompagne le petit dernier à son entraînement de foot et la grande à son cours de danse ? Qui participe aux déménagements des enfants étudiants ?
Bon courage à Mme Rousseau pour déterminer ce que serait une répartition pure et parfaite. La vie quotidienne au sein des couples est si diversifiée et si changeante au cours du temps en fonction de la composition de la famille, des âges de ses membres, de la présence de grands-parents et du travail ou non-travail des parents, que si elle veut obtenir un partage des tâches conforme à sa vision du monde, elle n’aura d’autre ressource que de tout planifier, donc contraindre, à la minute près.
Exactement comme un Gérard Filoche veut absolument que la semaine de travail comporte 32 heures réparties sur 4 jours et que la journée se décompose en 8 heures de travail, 8 heures de loisir et 8 heures de repos, elle devra établir des emplois du temps pour tous les membres de la famille et les imposer dans je ne sais quel Code de la vie familiale. Des inspecteurs semblables aux inspecteurs du travail viendront faire des contrôles et pourront même être saisis par les membres de la famille mécontents. Bonjour l’autoritarisme, bonjour l’ambiance.
Du reste, l’étude mentionnée plus haut montre que l’équilibrage des tâches au sein des couples progresse – excellente nouvelle qui disqualifie par avance les accès d’autoritarisme de Sandrine Rousseau. Tout comme le souci environnemental a fait son chemin progressivement dans les esprits depuis plusieurs décennies, les rapports homme femme au sein du couple et vis-à-vis des enfants évoluent énormément, comme chacun peut s’en convaincre en observant ses propres enfants adultes et en repensant à ses propres parents ou grands-parents.
Mais surtout, en quoi l’organisation interne d’une famille peut-elle bien concerner Sandrine Rousseau ? Elle raconte partout qu’elle vit avec un homme merveilleusement « déconstruit » ; nous sommes contents pour elle. Mais ses préférences doivent-elles s’imposer universellement ? Les hommes et les femmes sont-ils si complètement idiots qu’ils soient incapables de s’entendre et s’organiser au sein d’un couple et régler les disputes qui pourraient émerger entre eux au sujet du partage des tâches ? Sont-ils si dénués d’aspirations personnelles qu’il faille tout organiser à leur place comme si la vérité dans la recherche du bonheur devait obligatoirement venir d’une autorité autoproclamée supérieure ?
La comparaison l’horrifierait certainement, mais en militant ainsi, Sandrine Rousseau adopte (avec plusieurs longueurs d’avance, il faut bien le dire) un cadre d’action et de réflexion politique que son ennemi juré Éric Zemmour ne renierait pas.
Oh bien sûr, l’un et l’autre ont des conceptions complètement opposées concernant le contenu politique qui doit s’imposer à la sphère privée. Zemmour envisage par exemple de limiter par la loi le choix des parents quant aux prénoms de leurs enfants « pour que la France reste la France ». Ce dont Rousseau se fiche totalement tandis que Zemmour se moque littéralement de l’égalité homme femme.
Mais l’un et l’autre se rejoignent sur le fait que leur conception de l’existence, jugée supérieure à toutes les autres et placée dans les deux cas au rang d’enjeu civilisationnel, doit s’imposer à tous – faute de quoi notre avenir ne sera qu’abîmes et effondrements. De façon très concrète, nous voici face à deux constructivismes, deux approches autoritaires de la politique – l’une de droite, qu’on pourrait qualifier d’identitaire conservatrice, et l’autre de gauche, mélange intersectionnel d’écologie, de féminisme et d’anticapitalisme.
Si « le privé est politique », il en résulte assez directement que l’individu est dépouillé de sa capacité à faire des choix et prendre des décisions informées et autonomes. Sa seule et unique liberté consistera dès lors à se conformer aveuglément à ce que l’autorité politique aura décidé pour lui – ou à devenir hors-la-loi, puni, rejeté de la société. À la chinoise.
Autrement dit, si « le privé est politique », il n’y a plus ni individu ni liberté. On en a déjà une petite idée en France dans le contexte de notre triple État providence, stratège et nounou. Pensons plutôt à élargir la sphère privée.