Chaque mois, dans ses 10 derniers jours, tout comme je le fais pour le cinéma (dans ses 10 premiers) et tout comme je le fais aussi pour la musique (vers le milieu) je vous parle de l'une des mes trois immenses passions: la littérature!
Lire c'est accepter de plonger dans l'univers d'un autre. C'est jongler avec de nouvelles idées, flirter avec des styles de vies, explorer des univers inconnus, revisiter des zones de confort, confronter des pensées personnelles, lire c'est s'ouvrir sur le monde et apprendre à se balader sur le rythme de quelqu'un d'autre. C'est, pendant un temps, respirer autrement, même parfois, se faire couper le souffle.
Et respirer, c'est vivre.
(à la population ukrainienne qui vaincra le génocideur)
DEPECHE MODE de SERHIY ZHADAN
1993, dans les turbulences de l'Ukraine post-communiste, une station de radio populaire axée sur les jeunes diffuse de la musique occidentale. Parmi celle-ci, la musique de Depeche Mode. D'où le titre du livre. Sorte de journal d'ivrognes croisé avec Don Quichotte dans l'humour et le cynisme, on y suit un narrateur sans emploi et deux de ses amis, jeunes Juifs dans la fleur de l'âge, l'anti-sémite Dogg Pavlov et Vasia, le communiste. On y suit une certaine désintégration sociale. Le regard de Zhadan est trempé dans le sarcasme et reste relativement irrévérencieux contre son propre peuple, ukrainien. Un peu à la Irvine Welsh, peut-être même inspiré par lui, la philosophie personnelle de l'auteur est toujours colorée de grotesque. On y trouve beaucoup de burlesque à la Charlie Chaplin.
On y suit une jeunesse sur le point de sortir de l'adolescence (ils ont 19 ans) et qui vient de voir tomber la rigueur soviétique. Des jeunes garçons avec trop de temps à leur disposition. Investis dans la surconsommation d'alcool. C'est un livre sur "être jeune, en Russie". Même si depuis 2 ans, depuis l'effondrement de l'URSS, l'Ukraine est officiellement indépendante, on ne le sent pas totalement dans les rues. Et la Russie ne reconnaîtra qu'un territoire neutre, mais pas le pays. Territoire neutre que les Russes foulent sans vergogne.
Le trio est à la recherche d'un de leur ami, à Charkov, ce qui est davantage une métaphore de la quête personnelle de l'identité individuelle d'un peuple. Une quête toujours pertinente de nos jours dans la désorientation de cette "guerre fratricide" actuelle. Avec fluidité, Zhadan explore l'état d'esprit et le style de vie des jeunes post-soviétie. Beaucoup plus qu'un livre sur la simple déchéance adolescente, c'est cousin de The Catcher in the Rye avec ses allusions ses traits d'esprit, son ironie et leurs aventures abracadabrantes. Ça fait rire et sourire. Zhadan capture l'essence d'une culture naissante. Celle que Vladimir Putin tente d'avorter en ce moment même.
Post-moderniste, cette histoire de fraternité dans un pays encore naissant, est déjà une histoire de survie. Moins violente et brutale que l'actuelle histoire ukrainienne, mais comme les protagonistes choisissent de s'auto-détruire dans l'intoxication, on peut aussi y lire une métaphore de la propagande russe, extrêmement intense en tout temps, mais encore plus serrée dans les premières années de la première indépendance. L'indépendance totale, sans neutralité, sera en 2014, neutralité retrouvée récemment, compromis trouvé afin d'apaiser les tensions du moment entre Ukraine et Russie.
Parfois dans le style de James Joyce, parfois dans le style du flot de pensées, Zhadan, la structure du livre, de tout juste 200 pages, empêche l'ennui. L'absurde s'y invite et souvent, on a l'impression que l'huile à moteur du trio est la philosophie du "rions d'abord, pensons ensuite".
Le narrateur, probablement l'auteur lui-même, s'inquiète du sort du trio, ce qui empêche la narration de tomber dans les clichés de simple auto-destruction par la déchéance.
Amusant, pour un peuple qui a besoin de s'amuser bientôt.
Très bientôt.
Trop bientôt.