Avant la création de la danse macabre, il y eut le Vado Mari (« je me prépare à mourir » : poème en latin d'origine française qui remonte au XIII` siècle. Dans ce poème en strophes distiquées, nous assistons à un défilé de toutes les conditions humaines en marche vers la mort, de représentants de classes sociales variées qui se plaignent en deux vers du fait qu'ils vont mourir sous peu. L'expression « Vado mori », débute et termine chaque distique. S'il présente des similitudes avec la danse macabre, le vado mori n'en est pas à l'origine, et à la différence de celle-là, le vado mari ne fait pas intervenir ou s'exprimer des cadavres, ce sont des complaintes mondaines.
« Vado mari, miles, belli certamine victor
Mortem non didici vincere, vado mari.
Vado mori, medicus, medicamine non redimendus
Quidquid medici potio, vado mori. »
Je vais mourir, soldat, vainqueur dans les batailles de la guerre,
Je n'ai pas appris à vaincre la mort, je vais mourir.
Je vais mourir, médecin, aucun remède ne peut me sauver,
Aucun breuvage médicinal, je vais mourir.
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« l’avantage qu’il y a à se pencher sur la vie et la mort, c’est de pouvoir en dire n’importe quoi. »
(Cioran)
« C’est pourquoi je crois que le constat de notre finitude n’est pas uniquement mélancolique ou douloureux, au contraire, je le qualifierais de dynamique »
(Christophe Manon)
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L’auteur
Ho lecteur que je suppose raisonnable,
En ces pages tu pourras lire des phrases
Dispersées en vrai vrac cinq carnets durant
Comme contrainte et quinze mois ce pendant.
Maintes modiques phrases à faire danser
Dans la tête & à lire dans le désordre
Pour se bien rappeler cela que la mort
Est tout & rien & que c’est du grand pareil
Venez tous donc & hommes & femmes & enfants,
Jeunes & vieux, petits & grands, ou faibles & forts,
Venez, & lisez, prenez, puis très passez –
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Dès le premier jour on pose un pied dans la tombe.
La mort, un contraction du temps vivant.
La mort, qui nous pourrit la vie.
La mort, qui affaiblit les plus forts.
La mort, qui ne renforce pas les plus faibles.
La mort, qui vous prévient chaque jour que.
La mort, qui se mêle de ce qui la regarde.
La mort, dont les hommes ne sont pas dignes.
La mort, considérée comme à tort comme une peine capitale.
La mort, considérée comme une peine éternelle.
La mort, ce trou attractif d’effroi.
La mort, comme une seconde peau.
La mort, qui renouvelle les vies obsolètes.
La mort, qui nous prend beaucoup de temps.
La mort, qui nous aimante.
La mort, qui rend service.
La mort qu’on tutoie chaque jour, mais qu’il ne faut pas tutoyer.
La mort, comme solution à la vie.
La mort, qui jamais ne se lasse de nous enlacer de son mystère.
Jean-Pascal Dubost, Phrases de la mort, dessins d’Hervé Bohnert, lecture de François Boddaert, L’Atelier contemporain, 2022 (mise en vente le 8 avril 2022), 204 p., 25€, pp. 9-16.
sur le site de l’éditeur :
Livre étonnant par sa construction, le systématisme de ses recherches, son humour, le mélange des genres linguistiques, de la trivialité la plus commune à la richesse et la jouissance de l’ancien français auquel l’œuvre précédente de Jean-Pascal Dubost nous a habitués. Ce texte est lui-même en constante métamorphose, il est celui de l’inconstance des hommes pris dans la constance de la mort. Le seul fil narratif qui soit s’il en fallait un, est le fil de l’écriture, qui ne tient qu’à un fil, mais solide, ambitieux, poétique.
Après avoir célébré « Éros » en publiant l’an dernier à L’Atelier contemporain Lupercales, Jean-Pascal Dubost interroge Thanatos… Nos rapports à la mort : ils sont aussi nombreux que variés, uniques – voilà donc quelques centaines de phrases pour dire ce qui demeure pour tous et chacun, depuis la nuit du temps, indicible et terrifiant, et qui occupe, finalement, toute notre vie – l’actuelle pandémie du coronavirus est bien là pour nous le rappeler…
Texte écrit au fil du temps et au fil de ses carnets, en un temps court, sans préméditation aucune, seulement par nécessité, voilà néanmoins un livre véritable : lisible en piochant ici et là, le lecteur aura, à notre avis, plus d’intérêt à le lire dans sa continuité, qui dévoilera alors une construction parfaite, des ensembles tenus par des réunions thématiques ou un travail de langue.