« En mars 2011, un tremblement de terre à Tokyo a déclenché un tsunami dans le Pacifique, projetant une vague de la hauteur d’un immeuble sur la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Dans le chaos qui a suivi, l’alimentation électrique de secours s’est d’abord détraquée, puis les pompes se sont désactivées, bientôt imitées par les systèmes de refroidissement. De ces trois défaillances ont découlé une série d’explosions d’hydrogène en plein air et une véritable catastrophe. Un mois plus tard, utilisant l’échelle de mesure conçue par l’Agence internationale de l’énergie atomique pour mesurer les niveaux de radiation après un accident, les capteurs s’affolaient.
Il était fondamental de pouvoir disposer rapidement d’équipes de nettoyage sur place pour contenir le désastre, mais la température à Fukushima était trop élevée pour des humaines. Cela dit, le Japon étant depuis longtemps l’un des leaders mondiaux de la robotique, les autorités ont donc dépêché sur place des droïdes. Ces droïdes ont lamentablement échoué : un échec à valeur de catastrophe nationale au cœur de l’autre catastrophe nationale. La zone contaminée a eu sur les droïdes l’effet d’un champ de mines : les radiations ont grillé leurs circuits. En quelques mois, Fukushima est devenu un cimetière de robots.
Ce fiasco a frappé Honda de plein fouet. Depuis le début de la crise, l’entreprise avait reçu des appels téléphoniques et des courriels de milliers de personnes les suppliant d’envoyer sur zone Asimo, le robot humanoïde le plus avancé au monde. Avec son look d’adolescent déguisé en astronaute des années 1950 (imaginez une combinaison spatiale blanche à grosses bulles), Asimo était une célébrité internationale. Il a sonné la cloche de l’ouverture de la bourse de New York, dirigé l’Orchestre symphonique de Détroit et foulé le tapis rouge lors d’une demi-douzaine d’avant-premières de films. Pourtant, il y a une grande différence entre se pavaner sur un tapis et gérer l’environnement complexe d’une catastrophe nucléaire. À l’instar des autres robots envoyés à Fukushima, Asimo s’est avéré trop peu fiable pour gérer les conséquences de la catastrophe, écornant lourdement l’image de Honda et provoquant un tollé dans le milieu de la robotique.
Les résultats du Robotics Challenge 2015, consultables en ligne, constituent un florilège de bêtisiers : des robots qui tombent, d’autres qui n’arrivent pas à monter des escaliers, d’autres encore qui projettent des étincelles avant de subir un court-circuit.(…)
Cela dit, les avancées furent ensuite fulgurantes. Un an plus tard, une vidéo mise en ligne montrait le robot Atlas, de Boston Dynamics, deuxième du Darpa Challenge 2015, en train de marcher dans des bois enneigés et glissants, d’empiler des cartons dans un entrepôt, et même de retrouver son équilibre après avoir été frappé avec une crosse de hockey. Un an plus tard, une autre vidéo présentait Atlas franchissant une course d’obstacles conclue par un saut périlleux arrière depuis une cagette en bois, avec commentaires hauts en couleur d’un présentateur sportif : « Et un saut à 360 degrés par-dessus la palette, un salto arrière… »
Honda s’est aussi remis à l’ouvrage. En 2017, la société avait créé un prototype de robot d’intervention en cas de catastrophe, capable de grimper sur des échelles, de se déplacer en quinconce, et même de se mettre à quatre pattes pour ramper sur un terrain accidenté. En six ans depuis Fukushima, nous sommes passés de droïdes malhabiles à des robots-ninjas entraînés pour les cataclysmes. »
Nous n’avons probablement pas fini de subir les conséquences environnementales des catastrophes de Fukushima, mais elles auront au moins eu le mérite d’accélérer considérablement les progrès réalisés par la robotique et d’améliorer notre degré de préparation face à des cataclysmes.