à cause peut-être d’une impression / pareille à celles qui font croire…
ou bien
on s’aperçoit qu’au fond…
ou encore :
… tout au plus des impressions / que j’ai du fond de moi / laissées venir sur du papier….
Autre aspect fondamental de son écriture, ce sont les titres. « Nageur du petit matin » ou « Ça tient à quoi ? » pour les titres de recueil, soit en constat, soit en question. Mais ceux des poèmes ont cette même faculté de tout résumer, retenir et proposer, avec cette extrême simplicité des mots, des mots de tous les jours et des mots d’aujourd’hui comme E-billet ou Happy hour, et du sens, qui fait que l’auteur peut à l’inverse se moquer d’une certaine poésie qu’il appelle opaque, à laquelle on ne comprend pas grand chose.
La phrase en gros caractères sur la couverture de l’anthologie : « Au bout de la rue il y a la mer » n’est pas qu’un argument d’appel, elle correspond à un axe essentiel de ce livre et de sa vie. On pourrait presque paraphraser : « au bout de la rue de la vie il y a la mer ». L’auteur en effet s’est retiré au bord de l’océan et beaucoup de ses poèmes sont en rapport avec la mer, la nage, et le plein air, le vaste horizon, le corps libre dans l’eau et le temps en suspension… et ces vers en forme d’aveux au bout du poème et de la natation :
(Sur le dos) : être soi-même l’oubli / de tout ce qu’on a aimé.
Ou bien
(Sous la pluie) être à l’abri de tout / comme si je n’existais pas
ou encore
(Le sens de la nage) : C’est sur soi qu’on revient // Sur soi qu’on revient.
D’autres titres encore une fois sont parlants : « Ce petit tas de moi » ou « L’exercice de l’oubli ».
Tous ces poèmes soigneusement sélectionnés parmi des quantités d’autres forment comme une bande sous-titrée de son histoire et de sa vie. Avec des épreuves terribles, comme le deuil de sa femme, et un silence d’une quinzaine d’années… Depuis 2013, la poésie a repris doucement son cours, avec de nouveaux recueils retenus en partie dans cette anthologie et même un ensemble inédit « Sans place attribuée », avec à nouveau et toujours cette même quête de l’émotion. À partir de photos, de films, de tableaux, de scénettes de couples ou de femmes seules, de phrases et de musiques, de bruits du dehors… François de Cornière parle de légèreté grave, Paul Fournel en préface, quant à lui, pointe dans son écriture l’essentiel du futile. Il faut bien aller chercher dans les paradoxes et les alliances de mots pour tenter de définir la poésie de François de Cornière, finalement si simple, si quotidienne, si indentifiable et qui va si loin dans le sentiment et dans l’approche fine du sensible. Ses « façons d’être » sont universelles et chaque lecteur peu ou prou s’y reconnaît.
Jacques Morin
François de Cornière, Les Façons d’être, préface Paul Fournel, Le Castor astral collection Poésie Poche, 2022, 232 pages, 9€.
Extrait
LE SENS DE MES IMPRESSIONS
Le soleil d’automne était bas en cette fin de journée.
Par la vitre du café je regardais l’ombre des gens
qui passaient dans la rue
- rien que les ombres.
Les silhouettes étaient projetées sur le trottoir
démesurément allongées par la lumière rasante.
Un drôle de monde traversait l’espace de mon regard
un homme et une femme se donnant la main
une petite fille sautillant
un groupe d’adolescents
un vieil homme avec une valise
et combien d’autres encore
tous déformés par l’angle du faisceau.
J’éprouvais de la tendresse
pour cette humanité bancale un peu ridicule
comme si les ombres étaient la réalité
comme si elles révélaient qui on était vraiment.
Pendant que j’essayais de mettre des mots sur tout cela
il y avait ma belle lumière du soir
les reflets orange à l’intérieur du café
du silence des paroles.
Une femme jeune –près de moi- dessinait.
Elle regardait dehors par moments.
J’aimais quand d’une main elle balayait sa page
doucement
après avoir gommé ses traits de crayon.
Parfois elle soufflait sur le cahier
en le tenant penché.
Surtout sa queue de cheval tremblait au-dessus
du vide
quand elle faisait ce geste.
Elle me donnait le vertige et je m’interrogeais
sur le sens de mes impressions.
(p. 181-182)