Dans un précédent billet, je parle de "zone de sécurité". De quoi s'agit-il ?
Une histoire me revient en tête. J'ai fait mon service militaire comme scientifique du contingent dans un bureau d'études de l'armement. Pourquoi m'avait-on fait venir ? Mystère. Comme les autres scientifiques, j'étais inoccupé. Et nous avions l'impression d'être des ethnologues chez les pygmées, tant les moeurs des natifs étaient étranges.
Ce qui frappait était l'extraordinaire hiérarchisation des fonctions. Au sommet, les polytechniciens, sortant de l'école. Puis les IETA, école d'armement moins prestigieuse, qui sont les chevilles ouvrières du dispositif, puis les ingénieurs non formés dans les écoles de l'armée, qui me disaient être là pour "la qualité de la vie" (et me demandaient de ne pas "en faire trop"), puis les techniciens formés par l'armée, puis les techniciens non formés par l'armée, et ainsi de suite.
Un jour, m'a-t-on dit, un nouveau polytechnicien déclare que ses calculs lui ont révélé que la conception du nouveau canon n'est pas la bonne. Les IETA lui répondent que, selon leur expérience, ce n'est pas le cas. On fait des essais. Le canon tient. Le polytechnicien est remis à sa place, définitivement. Il est, d'ailleurs, avec sa secrétaire, dans un bureau fermé, alors que le reste de l'étage est en "open space".
Le phénomène "zone de sécurité" résulte probablement d'un double mouvement. Notre comportement naturel est totalitaire. Il est toxique. Il produit une réaction violente. Or, et, cela va avec, notre société est fortement structurée. Du coup, elle force chacun à vivre côte à côte. Mais, faute de communication, c'est bancal. Pour que nous parvenions à nous entendre et à nous coordonner, il faut beaucoup de bruit, et donc des crises.