(Anthologie permanente), Marc Dugardin, Psaume, passant

Par Florence Trocmé


Marc Dugardin publie Psaume, passant, avec des photos de son fils Antoine Dugardin, aux éditions du Chat Polaire. Il sera mercredi 23 mars à la Maison de la Poésie de Paris.
Matin qui s'ouvre sur les larmes d'une toute petite pleureuse. Et rien qu'un mince filet de voix pour que le désastre ne submerge pas le jour à jamais. Mélodie venue de loin. On a quitté le lit, ses draps chiffonnés par le sommeil et les songes. Debout, un peu dans le vertige encore. On entend la voix de la fillette, celle qui gémit tout doucement. Comment deviner la suite de l'histoire ? On ne sait pas. On ne sait rien, on voudrait ne plus rien savoir. N'être pour rien, surtout, dans ces larmes qui coulent. Les entendre seulement, comme un peu de pluie coulerait sur la vitre. Comme, inexplicablement, le jour est un fait de l'autre côté de la fenêtre... Petite pluie d'enfance, quelques notes d'une pleureuse, d'une berceuse, on n'a jamais su. On a pleuré pour ne pas mourir. On n'a pas voulu mourir noyé (même si, un jour, on a vraiment cru que cela arrivait).
(p. 22)
*
Ce n'est pas un psaume. C'est un texte avec une écharde sous la peau. II s'écrit de brûlure en brûlure, il s'avance sur le chemin de ce qui le consume. Qu'il oublie de vouloir ! Qu'il oublie tout, sauf cette cadence qu'il n'a pas inventée, ce rythme plus fort que lui auquel il doit d'être là. Il peut bien fredonner, chantonner, se demander quel refrain le traverse, ou quelle comptine, née d'une enfance que, peut-être, il n'a même pas eue, ce ne sont pas des paroles, ce n'est pas une mémoire, c'est l'ombre d'une danse, c'est le martèlement sur le sol d'un pas qui le conduit, c'est l'improbable qui le tient debout – mais dieu ! qu'est-ce qui me prend d'écrire ça ? D'écrire que je suis là. Que je me suis confondu avec ce texte, que j'ai commencé à me confondre avec tous ceux qui auraient pu l'écrire...
(p. 24)
*
Ne pas étouffer.
Il s'agit de cela.
D'une poitrine qui se soulève.
De l'irruption du monde dans le corps d'un texte.
C'est encore plus simple que cela, plus brutal : il s'agit de la disparition d'un homme, à sa fenêtre.
Alors je reprends le fil de mon histoire. Cette femme, qu'un livre a rendue muette. L'histoire est vraie. Et le train, et le livre, un autre livre, que je tenais hier entre les mains. Rouge vif, sa couverture. Noires de beaucoup de morts, ses pages.
Sur les talus, encore plus vif, le rouge des coquelicots. Rouges comme de petites joues fragiles autour d'une grande tache noire. D'un trou.
Puis encore, du vert, du jaune, et les couleurs criardes des tags sur les murs.
Le bleu des myosotis, des ne m’oubliez pas. Le titre du livre que je lisais disait à peu près le m^mee chose, qu’on ne veut pas abandonner, être abandonné.
J’ai pensé : alléluia ! J’ai pensé : au secours !
Non, je ne pensais pas. Je ne pensais même pas que je respirais.
(pp. 29-30)
Marc Dugardin, Psaume, passant, avec des photos d’Antoine Dugardin, Le Chat polaire, 2022, 88 p., 12€