L’assassinat du président de la République, Paul DOUMER, le 6 mai 1932, suscite un grand émoi. L’assassin, un dénommé Paul Gorguloff, arrêté sur les lieux de son crime, est un bien étrange personnage. Certains le décrivent comme un illuminé, d’autres comme un redoutable espion soviétique, d’autres enfin comme un vulgaire mégalomane. Son procès n’est décidément pas une mince affaire.
Lorsque les débats commencent au palais de justice de Paris, le 25 juillet 1932, le procès manque d’être aussitôt renvoyé. Dès le premier jour d’audience en effet, un des avocats de la défense, maître Géraud, réclame une expertise psychiatrique de son client, qu’il considère comme irresponsable et donc échappe à tout jugement. Mais le Président du tribunal, le magistrat Dreyfus, rejette la requête : des médecins compétents convoqués lors de l’instruction ont déjà examiné Gorguloff et l’on déclaré responsable. C’est à dire susceptible de répondre de ses actes devant des juges. Il est donc inutile d’imposer à la justice un nouveau délai.
Un paysan caucasien mal inspiré :
On passe donc à l’interrogatoire d’identité et à la présentation de l’accusé. Il s’agit d’un médecin d’origine paysanne qui a dû fuir sa Russie natale après la révolution russe de 1917 et la guerre civile. Certains témoins affirment cependant, qu’il a exercé les fonctions d’agent de la police à Rostov, menant des interrogatoires musclés, avant de disparaître en Pologne puis en Tchécoslovaquie et, enfin, de rejoindre la France. Grâce à plusieurs mariages fortunés, il mène une vie de plaisir et de luxe, dépensant l’argent de ses épouses : rien dans tout cela, ne laisse présager du geste qu’accomplira Gorguloff.
Or, en mai 1932, armé de deux revolvers, il se rend à Paris ; il abat le Président Paul Doumer lors d’une vente aux enchères au profit des écrivains anciens combattants.
Le président du tribunal cherche naturellement à comprendre le geste et les motivations exactes de Gorguloff. Quelle motivation a transformé le noceur en assassin politique et quel étrange processus d’esprit l’a conduit à prendre pour cible un homme qui d’après les institutions françaises de la IIIème République, ne dispose que d’un pouvoir extrêmement modéré ?
L’accusé balbutie qu’il s’agissait pour lui de défendre une cause où se mêle le salut de la Russie et la fondation sur place d’un « parti vert », violemment anticommuniste. Il explique qu’il se sent investi d’une mission et promis à un très haut destin…
Les propos de Gorguloff sont si évidemment confus que, toute nouvelle expertise demeurant strictement exclue, la journée du 26 juillet est consacrée toute entière à des débats concernant sa responsabilité. Lorsque le commissaire qui a procédé à l’arrestation de l’inculpé est interrogé par le procureur général Donat - Guigue, il déclare voir en Gorguloff un simulateur et non un fou. Un certain Lazareff, émigré russe, affirme pour sa part que l’accusé est un agent soviétique : il a lui même été interrogé jadis à Rostov par ce dernier. D’autres témoignages révèlent à la Cour que le docteur Gorguloff s’est rendu coupable de plusieurs avortements clandestins et qu’il a été recherché par la police tchèque lors de son séjour en Europe centrale.
Les experts qui se succèdent à la barre au nom de l’accusation ont la même opinion que les profanes : ils ne croient pas à la folie de Gorguloff. Trois médecins convoqués par l’accusation affirment que ce dernier est un simulateur tout à fait sain d’esprit. Les quelques étrangetés de son comportement et de sa vie montrent tout au plus qu’il possède un tempérament instable.
La défense, en revanche, appelle comme témoins d’autres médecins qui ont examinés Gorguloff et qui le présentent comme un demi fou vivant dans un monde de délire –son cas rappelant selon le docteur Lagre, le cas de Ravaillac, l’assassin de Henri IV. Maître Géraud, à chaque fois interpelle les jurés et le Président, clamant l’évidence démence de son client et l’iniquité qu’il y a à le faire comparaître. Tel est l’élément essentiel de son système de défense.
Le 27 juillet 1932, d’autres témoins permettent cependant de se faire une idée plus précise du personnage : un cafetier indique que Gorguloff s’est enivré avant de commettre son crime ; la dernière épouse et le beau-frère de l’accusé affirment qu’ils ont été dupés par celui en qui ils voient un misérable escroc…
La guillotine attend Gorguloff :
Ces derniers témoignages font sur la cour, un effet désastreux. Dès lors le procureur Donat Guigue peut à loisir dénoncer dans son réquisitoire le jeu scandaleux d’un homme qui n’a cessé de tromper son entourage et qui, faisant fi de l’asile que la France lui a donné, a assassiné le chef de l’Etat. Rien souligne le procureur, ne peut faire douter de la préméditation. Gorguloff avait deux revolvers sur lui, et son voyage à Paris n’a rien d’une improvisation.
De nouveau, les avocats de la défense s’insurgent. Ils ne cherchent pas à nier les tromperies constantes de l’inculpé, ni à contester la préparation de l’acte qu’il a accompli, mais ils dénoncent dans leurs plaidoiries le peu de cas que l’on a fait de l’instabilité mentale de l’accusé. Maître Roger exhibe un certificat médical tchèque daté de 1928 et attestant que Gorguloff est syphilitique. Cette maladie attaquant le système nerveux, elle expliquerait l’état mental de Gorguloff. Maître Géraud insiste sur le fait que l’accusé était ivre lorsqu’il a commis son crime. Dans ce cas, peut-on vraiment parler de Il faut seulement quelques dizaines de minutes au jurés pour faire un sort à Gorguloff. Déclaré coupable sans circonstances atténuantes de meurtre avec préméditation, celui-ci est condamné à mort. Après le rejet du pourvoi déposé par maître Géraud, il est exécuté le 14 septembre 1932. Il laisse dans sa cellule quelques pages de ses mémoires intitulés « la chanson de la mort ».
Merci à Emmanuel Chatillon pour ce résumé.