Avant de voir représenter ses pièces au Théâtre de Paris, 15, rue Blanche, où la Comédie-Française donnait des matinées classiques pour adolescents, et de l'étudier en classe, j'ai fait connaissance avec Molière, au début des années 1960, grâce à une émission de télévision, encore en noir et blanc.
Il s'agissait d'un jeu culturel, L'Homme du XXe siècle, présenté par Pierre Sabbagh. Un des candidats, qui devait emporter la finale en 1963, était un comédien français, sociétaire depuis 1936, que j'ai tout de suite aimé et admiré, Robert Manuel, dont je tentais d'imiter les poses, caractéristiques.
Ce qui singularisait ce candidat, c'était son amour pour Molière. Lors de l'émission, il avait sous la main, comme les autres candidats, un talisman. Dans son cas, c'était un buste de Jean-Baptiste Poquelin, qui faisait partie de sa collection et qui me faisait rêver au point que j'aurais aimé en avoir un.
En classe, quand nous étudiâmes les classiques, très naturellement c'est Molière qui eut ma préférence, tandis que mon plus ancien condisciple, JLK, connu en septembre 1958 et dont j'ai appris récemment la disparition le 1er janvier 2020, ne jurait que par Pierre Corneille et ses fameux dilemmes.
Tout cela pour dire que je n'ai pu résister et ai fait l'acquisition du dernier numéro hors-série du Figaro, consacré à l'illustre dramaturge. Et je n'ai pas été déçu. Comment aurais-pu l'être puisque le titre de ce numéro est une citation profonde de cet autre géant du théâtre qu'est Sacha Guitry...
Dans ce numéro, il y a beaucoup de choses à lire. Aussi me contenterai-je, comme je l'ai fait avec l'Album Molière de François Rey d'en relever quelques-unes qui m'ont marqué et qui m'ont paru dignes d'être signalées à mes lecteurs, qui auront peut-être alors envie de le lire à leur tour in extenso.
Dans son Éditorial, Michel De Jaeghere montre avec talent et avec verve que le génie de Molière tient à ce qu'il suffit [...] d'ouvrir les yeux pour constater que les types qu'il a créés ont survécu à leurs modèles, apprécier à quel point ils sont éternels:
- Les dévots ont désormais la fibre humanitaire.
-Les précieuses habitent une surface atypique du côté du canal Saint-Martin et achètent des légumes oubliés rue des Martyrs.
-Les médecins se succèdent sur les plateau de télévision pour annoncer des malheurs apocalyptiques, menacer d'excommunication ceux qui sont rétifs à l'administration de leurs potions.
- Les valets sont devenus consultants...
Dans Le rire souverain, Marc Fumaroli écrit avec justesse:
Le théâtre comique a été élevé par Molière au rang de philosophie du plaisir et de thérapeutique des maladies de l'âme.
Dans Si ce n'est lui, c'est donc Corneille, Martin Peltier met en pièces la thèse de Pierre Louÿs et emploie in fine, après avoir montré les failles des arguments techniques, celui, massue, de la prosodie:
Dans le vers de Corneille le "ier" de "bouclier", "meurtrier", "sanglier" compte toujours pour deux syllabes. Le même "ier" ne compte que pour une syllabe (comme dans "crassier") chez Molière, qui garde la prononciation archaïque. Or la façon d'entendre reçue de sa mère marque l'identité: l'homme qui a écrit les vers signés Molière n'a pu écrire ceux qu'a signés Corneille.
Dans Le paradoxe du comédien, Fabrice Luchini, mon contemporain, qui en réalité se prénomme Robert, comme mon père, interrogé sur la façon de jouer Molière, répond:
Cela peut prendre des années, mais il faut se contenter de dire les mots de Molière. [...] Quand tu joues Molière, il faut que tu te dégages de tout apport personnel. [...] Le vers de Molière, c'est le contraire de la modernité: c'est la contrainte de l'alexandrin qui produit la vie, et non pas la vie qui ne s'épanouirait que quand elle est débarrassée de la contrainte.
Dans La cause des femmes, Simone Bertière conclut:
Molière féministe, au sens militant du terme? Sûrement pas. Il était trop sensible à l'infinie diversité des êtres. Très ferme sur l'égalité ontologique entre l'homme et la femme, il s'est borné à dénoncer courageusement les servitudes pesant sur celle-ci. C'était encore trop pour l'époque, si l'on en juge par la violence des attaques subies. Mais il a du moins le mérite d'avoir déblayé le terrain des préjugés qui l'encombraient grâce au rire, par essence libérateur.
Dans Le miroir du monde, Marie Zawisza passe en revue les principales pièces de Molière. À propos du Médecin malgré lui, elle cite ces paroles de Sganarelle qui conseille à une patiente qui se dit bien portante:
Cette grande santé est à craindre: et il ne sera pas mauvais de vous faire quelque petite saignée amiable.
(ce conseil me touche, qui vais dans quelques jours en subir une troisième non moins amiable pour guérir d'un mal génétique auquel on n'a pas au XXIe siècle trouver d'autre remède...)
Tartuffe ou l'Hypocrite, version originelle de la pièce, devenue Tartuffe ou l'Imposteur, ne figure pas dans l'édition 2010 des Oeuvres Complètes de La Pléiade, réimprimées au début de cette année. Mais il est possible de l'acquérir à la Boutique de la Comédie-Française: cette version est au répertoire jusqu'au 24 avril 2022 dans une mise en scène d'Ivo van Hove.
Enfin, à Versailles, Yvelines, à l'Espace Richaud, 78 boulevard de la Reine, se tient une exposition jusqu'au 17 avril 2022, sur le thème:
MOLIÈRE, LA FABRIQUE D'UNE GLOIRE NATIONALE (1622-2022)
Quand on parle de l'anglais, on dit langue de Shakespeare et, quand parle du français, on dit langue de Molière. Aussi n'est-ce pas extraordinaire qu'amoureux de ces deux langues, je le sois aussi des deux auteurs qui en sont les emblèmes...
Francis Richard
1622-2022 - Quoi de neuf? Molière!, Figaro Hors- Série, 116 pages
Articles précédents sur Molière:
Album Molière, François Rey
Le Malade imaginaire, à la Comédie-Française