Nueve cuatro

de Nicolas Laquerrière

Roman - 430 pages

Editions Harper Collins - février 2022

Henri, veuf, comptable à la retraite à Ratigny, dans le 9-4, passe des semaines plutôt calmes, très arrosées de coca, et sans grande crainte du diabète qui le ronge et vient de lui faire perdre un orteil. Tous les mercredi il les passe avec Clara, une jeune voisine et amie. Un jour, celle-ci disparaît, ses parents ne sont pas très motivés pour se lancer dans les recherches aux côtés d'Henri. Ce dernier se tournera plutôt vers les têtes brûlées de la cité, Soul - Souleymane - habitué à gérer les recouvrements non honorés, Brahim, le vieux qui tient une moitié de la ville, Doums et Sofiane, loin d'être des enfants de cœur, et Kamel, le fils de Brahim qui devient Camélia aux côtés de son amour Soul...

Pour une fois, on braque les projecteurs "banlieue violente" ailleurs que sur le 9-3. Une fiction assez souvent très bien rythmée, avec la part belle donnée aux dialogues et aux monologues intérieurs dans une langue très actuelle, jeune et décomplexée. Une autre littérature, mais des mots qui sonnent une réalité. Résolument moderne aussi en osant planter un personnage qui se travestit et veut assumer son histoire d'amour avec un pair. Les vieux caïds sont gagnés par Alzheimer, la lassitude ou d'autres maux de leur âge, les jeunes doivent trouver la place d'une relève différente.

Extrait :

"Il n’a pas oublié ce qu’ils ont fait à son copain à l’époque, ces enfoirés. Il n’a pas oublié que lui, ils ont à peine regardé sa carte d’identité et lui ont dit de dégager. Il n’oublie pas que Mehdi, il ne l’a jamais revu. Il n’oublie pas que ce sont les flics d’ici qu’ont fait ça. Ils étaient au bord de la Seine. Mehdi ne savait pas nager. Ils rentraient du boulot, c’était l’été, ils s’étaient pris à boire et s’étaient posés sur les quais. Passion Coca plutôt que bière pour les deux. L’un pour cause d’islam, l’autre pour cause d’addiction au sucre. C’est ce qui les avait rapprochés au bureau et dans la vie. Ils se voyaient même le week-end. Henri passait pour le tonton des gamins de Mehdi. Eux non plus n’ont jamais revu leur père. C’est arrivé dans les années 80. Qu’on ne lui dise pas qu’il y en a des bons ou que tout ça, c’était avant. Sur les quatre qui les ont alpagués Mehdi et lui, vu qu’aucun n’a rien fait ou rien dit, c’est qu’y en avait pas un de bon dans le tas. S’il y en a un qui déconne et trois qui ferment leur gueule, ça fait quatre fils de pute. Ces maths-là ne sont pas compliquées."

Les personnages bien que plongés dans un microcosme populaire et sombre, sont assez différents les uns des autres, et leurs alliances - multiculturelles, multigénérationnelles - peuvent surprendre ; ceci en fait aussi la richesse du récit et des liens que l'on voit se tisser. Outre un jeune délinquant à cheval et un crocodile échappé, on croise des souffrances, des solitudes et des rancœurs qui vont d'attirer et même se comprendre. C'est le milieu des règlements de compte, des guerres froides de territoires, des macs et des caïds. La banlieue sera à feu et à sang, car oui, ça tire, ça course, ça saigne aussi. La fin de ce thriller s'achève tragiquement certes, mais porte la voix d'une volonté réconciliatrice, d'apaisement, d'émancipation également qu'on n'attendait pas forcément.

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