Qu'est-ce que moi? Y aurait-il quelqu'un à l'intérieur, quelqu'un que je ne connais pas? Il semblerait que le Moi ne se prolonge que par la mémoire et que, peut-être pour être le même, je devrais me souvenir d'avoir été.
Moi cet autre est-il un recueil de nouvelles? Il n'y a pas de chutes... Ce serait donc plutôt un recueil de chroniques où celui qui tient la plume est peut-être Antonin Moeri, ou peut-être un autre...
Le lecteur en tout cas est malmené. Il ne sait que penser, parce qu'il lui est bien difficile de démêler le vrai du faux, mais doit-il seulement tenter de le faire? Est-ce de quelque importance?
Toujours est-il que l'auteur jongle avec la langue. S'adressant à cet autre moi, qui n'en est pas forcément un, il emploie le tutoiement, puis il reprend tout de go le récit à la première personne.
La troisième est réservée à des tiers qu'il observe, avec mélange. Car tout le monde ne lui plaît pas et il est tenté de se le reprocher sévèrement, s'interrogeant même sur le droit de juger.
Ces chroniques révèlent un fin observateur, très au courant par exemple des modes vestimentaires des personnes qu'il croque parfois de manière incisive, mais jamais avec méchanceté.
Le chroniqueur est de fait curieux des êtres et des choses, des hommes et surtout des femmes, pour lesquelles il a une dilection indéniable, allant pour certaines d'entre elles jusqu'à l'intime.
Les premières chroniques sont relatives à des souvenirs réels ou imaginés d'enfance et d'adolescence, les deuxièmes mettent plutôt en scène des voisins ou des inconnus rencontrés ici ou là.
Le masculin ici employé est neutre. Car les personnes rencontrées sont du sexe masculin ou féminin, aux prises souvent avec ce que l'auteur appelle les petits riens de la vie, en fait très importants.
Les troisièmes chroniques retracent son éducation sentimentale: il se penche sur son passé et découvre parfois que celui-ci joue les prolongations, non sans agréments, jusqu'à son présent.
Les deux dernières chroniques traitent de la dernière station de la vie et du retranchement de la société humaine. Comme les précédentes elles portent la patte singulière et originale de l'auteur.
Une fois le livre refermé, si le lecteur aura en effet bien du mal à se rappeler tout ce que l'auteur lui aura confié, il retiendra surtout les vives impressions que lui aura laissées son regard aiguisé.
Francis Richard
Moi cet autre, Antonin Moeri, 288 pages, Bernard Campiche
Livres précédents:
Juste un jour (2007)
Encore chéri ! (2013)
Pap's (2015)
L'homme en veste de pyjama (2017)
Ramdam (2019)