L’espagnol est la langue de ma folie.
Ma schizophrénie a l’accent d’Estrémadure.
Aujourd’hui, j’ai lu le terme ingreso (hospitalisation) et ce mot m’a sauté au visage, avec la douleur d’il y a plus de vingt ans, parce que c’est moi dans ma robe de nuit bleue d’hôpital, c’est ce mot dans la bouche de mon psychiatre, dans la mienne, c’est la fin de quelque chose, pour moi, d’en être arrivée là.
Il n’est rien d’autre pour moi, ce mot que je n’utilise pas au quotidien, contrairement à sa traduction française.
Le mot est la chose, et tout ça, en espagnol bien plus qu’en français.
L’espagnol, c’est la langue qui servait de traduction à ma folie. Elle bouillonnait dans ma tête en français, je devais la transcrire en espagnol pour espérer que quelqu’un m’en sauve.
L’espagnol, c’est la langue de Lucia, ma psychiatre que j’aimais tant, à la folie là encore
L’espagnol, c’est donc une langue qui me fait toujours un peu du mal, qui me rend fragile.
Il y a le wallon que parlait que parlait mes grands-parents entre eux, que je comprends sans le parler, il y a le néerlandais que j’ai appris depuis l’enfance et dont j’ai quasi tout oublié, l’allemand qu’on m’a contrainte à étudier et dont je ne me souviens de rien, il y a l’anglais que j’ai appris et qu’on entend partout et puis il y a l’espagnol. J’ai vécu en espagnol, j’ai rêvé en espagnol, je suis presque morte de folie en espagnol. Ce n’est pas une langue comme les autres, pour moi.
C’est une langue que j’aime profondément, c’est une langue qui me blesse aussi, c’est une langue chargée de souvenirs.
Il y a comme des bris de verre dans certains mots, ceux liés à la psychiatrie, à l’hôpital, à la schizophrénie. Ces mots sont comme les odeurs et les goûts qui nous replongent des années en arrière, toute sensation intacte, sans qu’on s’y attende.
Ces mots sont de petits éclats de bombe qui explosent dans mon cerveau quand ils remontent à la surface.
Je crois que je ne retournerai pas à Cacéres, lieu de ma folie. Mais l’espagnol, langue de ma folie, reste en moi à jamais.